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A propos de l'auteur

  • Valérie PEREZ

    Fondatrice de ce site et auteur de la majorité des articles mis en ligne.
    Professeur agrégée et docteur en philosophie.

Pêro Vaz Caminha ou l’éloge de la différence

« Ils avaient belle allure » (Caminha)

Divers chemins mènent à la connaissance de l’Autre. A l’époque des grandes découvertes, on disserte sur l’exotisme des contrées étrangères. Mais selon Montaigne, les Européens ont du mal ! On n’est bien que chez soi car

"là est tousjours la parfaicte religion, la parfaicte police, perfect usage et accomply de toute chose. » (in « Des Cannibales »).

Il y a deux attitudes possibles : le rejet ou la curiosité. L’écrivain Portugais, Pedro vaz Caminha penche pour la seconde. Ainsi, lorsque la flotte portugaise débarque sur les côtes du Brésil, elle aperçoit d’emblée des

« hommes à peau cuivrée, tous entièrement nus, sans rien qui couvrit leurs parties honteuses. Ils ont sur ce point la même innocence que pour ce qui est de montrer leurs visages » (Lettre du vendredi 24 avril 1500).

A maintes reprises, l’auteur souligne la singularité des indigènes, qui ne s’embarrassent pas avec la pudeur :

« ils ne se soucient nullement de montrer ou de cacher leurs parties honteuses ».

La rencontre avec l’autre passe donc d’abord par le corps, la dont le spectacle reflète déjà des habitudes, des coutumes différentes. Ainsi, dans ses lettres Pedro vaz Caminha décrit minutieusement les Indiens. Les couleurs dont ils se servent pour teindre leurs corps l’étonnent :

« Vous auriez vu là Sire, des élégants peints en noir et rouge, le corps et les jambes couverts de carrés bicolores, qui avaient vraiment belle allure. » (Lettre du dimanche 26 avril 1500).

Si Caminha insiste autant sur ces corps nus et colorés, c’est sans doute parce qu’ils lui donnent le sentiment d’une étrangeté radicale. En effet, il est intéressant de remarquer que l’auteur s’attarde peu sur la description des paysages : son attention est tout entière vouée aux indigènes. Ce qu’il envoie au Roi, c’est la peinture d’un sauvage aux traits exotiques bien définis et reconnaissables.

Ces traits particuliers sont caractérisés par la beauté et la robustesse des corps peints avec art :

« ils étaient tous si bien faits, si bien tournés et si élégants avec leur peinture qu’ils avaient belle allure. »

Caminha va aussi jusqu’à comparer les femmes indigènes avec celles de son pays. Il n’est plus question cette fois de « parties honteuses » mais de beauté :

« elle était en vérité si bien faite et si bien potelée, et cette partie de son corps dont elle n’avait point honte avait tant de grâce, que bien des femmes de notre pays, lui voyant une telle tournure, aurait eu honte de n’avoir pas une féminité comme la sienne. »

La lettre de Caminha, on le voit, se présente comme un document anthropologique qui a des exigences de rigueur. Il donne une abondance de détails très concrets : sa connaissance de l’Autre est avant tout empirique.

Le trajet en mer n’occupe qu’une place minime dans la lettre de Caminha. Ce qui l’intéresse, c’est de décrire une société humaine nouvellement découverte. Cette découverte se fait par le biais de la comparaison des objets et des animaux domestiques. Le langage est purement gestuel, et l’auteur ne manque pas de souligner avec piquant que :

« C’est là ce que nous comprenions car tel était notre désir. Mais s’il voulait dire qu’il aurait emporté le chapelet et aussi le collier, nous ne voulions rien entendre car nous n’allions pas lui en faire présent ; »