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A propos de l'auteur

  • Valérie PEREZ

    Fondatrice de ce site et auteur de la majorité des articles mis en ligne.
    Professeur agrégée et docteur en philosophie.

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La chronologie des événements et le rapport au temps dans le Lager

l’avenir se dressait devant nous, gris et sans contours, comme une invincible barrière Pour nous, l’histoire s’était arrêtée. (Chapitre 12)

La plupart des événements racontés sont connus des lecteurs. Ils font partie de l’Histoire, avec « sa grande hache », comme l’écrit Georges Perec. Quelques notations sur le déroulement de la guerre jalonnent le récit : « au mois d’août 1944, les bombardements commencèrent sur la Haute-Silésie et se poursuivirent par à-coups pendant tout l’été et l’automne, jusqu’à la crise définitive. » (p.125) D’autres ont un caractère plus personnel et portent sur les mois passés au Lager. L’établissement de leur chronologie dépend du système élaboré par les nazis : « Telle sera notre vie. Chaque jour selon le rythme établi, Ausrücken et Einrücken, sortir et rentrer, dormir et manger ; tomber malade, guérir ou mourir…Jusqu’à quand ? » (p.36)
La chronologie et le rapport au temps dans cette œuvre sont indissociables du drame vécu par l’auteur. Dans le récit, le temps possède deux caractéristiques : l’absurdité et la destruction. Ce singulier rapport au temps est annoncé dès la première phrase du livre, dans la Préface « J’ai eu la chance de n’être déporté à Auschwitz qu’en 1944 ».
Très vite, dans le récit, le temps n’a plus de sens : « Les jours se ressemblent tous et il n’est pas facile de les compter. » (p.44) car « autour de nous tout est hostile. »
Cette hostilité se traduit entre autres par des rituels absurdes et humiliants. Ces rituels rythment chaque moment de la journée, divisent le temps en autant de souffrances. Ainsi, dans le chapitre 4, il est question du « cérémonial (…) compliqué » de l’infirmerie : il s’agit d’attendre son tour dans une file interminable, et d’ôter ses vêtements au fur et à mesure, afin d’arriver entièrement dénudé devant la porte du médecin. Le temps, au Lager, est marqué par ce genre de rite inhumain, absurde et cruel. Les termes même de « rite », de « cérémonial » ou de « cérémonie » reviennent très souvent dans cette œuvre. En voici deux exemples : « rites administratifs » (p. 61), « la dernière cérémonie de la journée » (p.62),

Mais parfois, paradoxalement peut-être, c’est dans le temps que les victimes cherchaient un certain réconfort : « En retournant au travail, on voit passer les camions de la cantine, ce qui veut dire qu’il est dix heures. C’est une heure honnête, la pause de midi se profile déjà dans la brume d’un lointain avenir, et nous pouvons commencer à puiser un peu d’énergie dans l’attente. » L’heure est donnée par des signaux. Ici le camion, et plus loin, un appel : « Franz vient appeler Waschsmann pour aller chercher la soupe, c’est qu’il est onze heures. »

Dans les camps, tout est voué à la destruction et le temps n’échappe pas à cette règle : « On apprend vite en cas de besoin à effacer d’un coup d’éponge passé et futur. » (p.37 ) Mais le présent, quel est-il ? Il est fait de souffrance, il alterne oubli et prise de conscience : « lorsqu’on travaille, on souffre et on n’a pas le temps de penser : nos maisons sont moins qu’un souvenir. Mais ici [au K.B.] le temps est tout à nous : malgré l’interdiction, nous nous rendons visite d’une couchette à l’autre, et nous parlons, nous parlons. »