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A propos de l'auteur

  • Mathilde Bereau

    Étudiante en 2ème année de licence de Lettres modernes à l’université de La Rochelle.

Accueil || Licence de Lettres || Tocqueville || Pourquoi les américains se montrent si inquiets au milieu de leur bien-être ?

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Notre étude porte sur le chapitre 13 se trouvant dans la deuxième partie « Influence de la démocratie sur les sentiments des américains » du tome II (Folio) de De la démocratie en Amérique. L’individualisme et la jouissance matérielle sont des notions importantes dans cette œuvre comme nous le verrons.

Quels problèmes posent le goût pour les jouissances matérielles et en quels termes Tocqueville en parle-t-il ?

Dans le premier paragraphe de ce chapitre, Tocqueville affirme qu’en Amérique, lorsque la démocratie vient s’installer, certains territoires ne changent pas pour autant leur politique, leur façon de vivre et de penser. Ces peuples « ignorants » et « misérables » sont opprimés le plus souvent par le gouvernement mais ils ont une « humeur enjouée » Pourquoi ? Parce qu’ils ont réussi à s’affirmer et ont réussi à refuser la démocratie. Sont-ils pour autant conservateurs ?
Les américains les plus « libres et éclairés » sont ceux qui ne pensent pas à leur malheur → pour être heureux il faut savoir se satisfaire de ce que l’on a sans s’accabler de ses malheurs. Les personnes tristes sont celles qui veulent toujours plus que ce qu’elles ont déjà. Ici nous pouvons évoquer Pascal, qui dans les Pensées, dans la liasse « Divertissement » écrit : « j’ai découvert que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. ».

A quoi sert cette obsession de la possession ? En quoi est-elle un signe de la société démocratique ?

Les Américains s’attachent à des biens matériels, ils ont peur de mourir, donc ils se rattachent a des choses concrètes pour oublier leur condition. Cette idée était déjà chez Pascal : « Mais quand j’ai pensé de plus près, et qu’après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs, j’ai voulu en découvrir la raison, j’ai trouvé qu’il y en a une bien effective, qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable, que rien ne peut nous consoler, lorsque nous y pensons de près. » L’homme veut saisir tous le biens sans forcément en profiter.
Tocqueville donne un exemple concret. L’homme va beaucoup trop vite, « il vend la peau de l’ours avant de l’avoir tué », il a des « changeants désirs », ce qui fait qu’il ne profite pas des biens qu’il possède. On essaie toujours d’échapper à l’ennui, et on est toujours à la quête du bonheur ... jusqu’à ce qu’on arrête de vivre.
Ainsi, Tocqueville compare les hommes d’avant et d’aujourd’hui. Avant, on voyait les hommes aussi heureux, mais aujourd’hui cela est devenu une sorte de phénomène de société, tout le monde est à la recherche de ce bonheur, qui consisterait en la possession, sans fin, de biens matériels.
L’homme se rappelle sa condition humaine, « de la brièveté de la vie » et contrairement à la philosophie stoïcienne, les américains s’inquiètent du futur, ils ont peur de la mort, et essaient d’aller le plus vite possible, de faire le plus de chose possible pour avoir l’impression de profiter de la vie au maximum.

Dans la démocratie, un des points les plus importants est l’égalité. Tout le monde est donc égal envers le bonheur, et les hommes s’inquiètent de ne pas réussir à avoir le bonheur que les autres pourront avoir à leur place. La jouissance des biens devient le but ultime. Cependant, il faut que ce soit quelque chose de facile à atteindre. L’égalité va donner l’impression aux hommes qu’ils ont chacun la possibilité d’accéder à cette jouissance. Ils vont donc espérer, sans forcément l’atteindre, la jouissance des biens matériels.
Pourquoi ? Pour notre auteur, c’est l’égalité leur fait espérer, mais le quotidien les rends « faibles ».
Cette égalité va en effet faire naître plusieurs obstacles et elle ne peut pas être parfaite. De plus, comme il est dit plus haut, les hommes veulent toujours plus, donc « les hommes ne fonderont jamais une égalité qui leur suffise. ». Le problème de l’égalité c’est que la société démocratique donne le même statut à tout le monde. Les citoyens n’ont plus besoin des autres, cela va entraîner une dé-socialisation de l’homme. Tocqueville émet ensuite l’hypothèse suivante : admettons qu’il y ait une égalité parfaite entre les hommes, il y aurait « l’inégalité des intelligences » qui ne peut pas être contrôlée par les hommes puisque c’est du ressort de Dieu.
Tocqueville fait ainsi une allégorie de l’égalité : « Sans cesse ils croient qu’ils vont la saisir, et elle échappe sans cesse à leurs étreintes. Ils la voient d’assez près pour connaître ses charmes, ils ne l’approchent pas assez pour en jouir, et ils meurent avant d’avoir savouré pleinement ses douceurs ». L’égalité est donc, finalement, un principe qui semble très difficile à atteindre.
Par ailleurs, Tocqueville compare la France et les États-Unis sur le point suivant : en France les gens se suicident, alors qu’au États-Unis « la démence » est plus commune. Quelle en est la cause ? La recherche incessante du bonheur, de la jouissance, l’envie des biens matériels, la peur de la mort, l’égalité, la liberté ?
Tocqueville parle de « passion du bien-être matériel », or la passion, si on reprend la philosophie stoïcienne, est dangereuse si on ne sait pas la contrôler. La passion est opposée à la raison, or « leur raison fléchit » ce qui rend ces hommes faibles, d’où la démence.
Dans le dernier paragraphe de ce chapitre, Tocqueville va comparer les « temps démocratiques » et les « siècles d’aristocratie », comme au chapitre XVII « De quelques sources de poésie chez les nations démocratiques ». Pour Tocqueville il y a plus de personnes dans les temps démocratiques qui veulent la jouissance mais peu y arrivent, tandis que dans les siècles d’aristocratie, moins de gens voulaient cette jouissance, mais proportionnellement, ils étaient plus nombreux à l’atteindre.

Ainsi, dans ce chapitre, Tocqueville fait un travail de philosophe : il voit que certains sont heureux, d’autres non ; il pose des problèmes, analyse et essaie de comprendre.

Les jouissance matérielles permettent aux hommes d’échapper quelques temps à leur condition et l’égalité, leur fait croire qu’ils peuvent chacun y accéder, alors que ce n’est qu’une illusion.
Tocqueville ne veut pas revenir en arrière, mais pense que la démocratie peut, à force de vouloir trop d’égalité et de liberté, se retourner contre nous. C’est ce qu’il se passe ici, à force de trop croire en l’égalité, aux biens matériels, cela amène les hommes à la démence.