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Dans la collection « Vocabulaire de » dirigée par Jean-Pierre Zarader
Publiée chez Ellipses (2009).

Ce volume sur le vocabulaire d’Aristote tient une place à part dans l’excellente collection de Jean-Pierre Zarader. En effet, dès le sommaire, il est clair que nous y retrouvons tous les grands thèmes de la philosophie : acte, âme ; bien, catégorie, cause, dialectique, éthique, hasard, nature, puissance, pour ne citer que ces concepts parmi les 36 que compte ce volume.

Autant dire que Le vocabulaire d’Aristote constitue tout autant une excellente initiation à la philosophie et à l’étude de ses concepts, qu’à la pensée rigoureuse du Stagirite.

Mais la collection dépasse largement le côté « initiation » en proposant à son lecteur trois niveaux de lecture.

Intéressons-nous à la phronèsis (φρόνησις) , autrement dit à la prudence, « vertu de l’intellect pratique » (page 76), c’est-à-dire vertu intellectuelle et non éthique, que Pierre Pellegrin étudie aux pages 76-79.

Qu’est-ce qu’une vertu intellectuelle ? Pierre Pellegrin aborde dans un premier temps trois directions pour aborder la prudence. Suivant ainsi La Métaphysique d’Aristote (E, 1, 1025b24), il nous apprend que « toute pensée est soit pratique, soit productrice, soit théorétique ».

« Productrice » signifie que « c’est dans l’être même qui produit qu’est le principe » (La Métaphysique, (E, 1, 1025b24) édition Pocket, p. 218). Ces principes sont l’art, l’intelligence ou toute autre faculté quelconque. « Pratique » renvoie au principe du libre choix de celui qui réfléchit puisqu’en lui, écrit Aristote, la réflexion et le libre choix se confondent ». Enfin, théorétique renvoie à la Physique, mais elle ne fait la théorie que de ce qui peut recevoir le mouvement, et de la Substance qui, la plupart du temps, n’est pas séparable de son objet matériel (Aristote, op. cit. p. 218).

La prudence, écrit Pierre Pellegrin, « trouve sa place dans le domaine pratique » : elle ne produit rien et n’est donc pas un art. Elle n’est pas non plus théorétique : « elle ne porte pas comme les sciences théoriques sur des objets éternels et nécessaires » (p. 77).

Par conséquent, la sagesse s’oppose à la prudence. Pierre Pellegrin l’affirme dès le début de cet article, et le précise dans un deuxième niveau de lecture, en citant directement Aristote. Ainsi, certains (Anaxagore et Thalès par exemple), sont dits sages et non pas prudents « quand on les voit ignorer ce qui leur est profitable à eux-mêmes : on reconnaît qu’ils possèdent un savoir portant sur des réalités incomparables, merveilleuses, difficiles et divines, mais qui est inutile du fait que ce ne sont pas les biens proprement humains qu’ils recherchent ». (p. 77).

Notons que Pierre Pellegrin précise, comme dans chaque article de cet ouvrage, les références aux oeuvres d’Aristote, permettant ainsi à son lecteur de retrouver les textes originaux pour s’y reporter et aller plus loin. C’est donc le cas ici, où la distinction entre la prudence et la sagesse peut être lue dans l’Éthique à Nicomaque, VI, 7, 1141b2. Dans ce chapitre VI, 7 sur la sagesse théorétique, nous lisons que le terme de sagesse peut s’appliquer aux arts : le sage est celui qui excelle dans son art. Par ailleurs, écrit Aristote, « certaines personnes sont sages d’une manière générale » (édition Vrin, traduction de J. Tricot, 1990). Mais il est à noter qu’Aristote précise bien que la sagesse, à la fois raison intuitive et science, porte sur les réalités les plus hautes. Et c’est en cela qu’elle s’oppose à la prudence, car elle porte sur l’homme, et l’homme n’est pas ce qu’il y a de plus excellent dans le Monde (VI, 7, 1141a). De plus, ce qui est sage est invariable, alors que ce qui est prudent est variable car c’est l’être qui a une vue nette des diverses choses qui l’intéressent personnellement (ibid.). Certaines bêtes, en ce qu’elles ont la capacité de prévoir ce qui concerne leur conservation, peuvent donc être qualifiées de prudentes.

À partir de cette lecture d’un extrait de l’Éthique à Nicomaque, Pierre Pellegrin affirme que le prudent n’a pas pour but une connaissance théorique de la vertu et du bonheur, mais il vise l’appréciation juste de situations singulières (p. 78). Pour y parvenir, il a besoin d’une capacité bien déterminée, celle de délibérer, capacité qui précède le choix rationnel.

Mais de quoi le choix du prudent dépendra-t-il ?

Le choix du prudent porte sur ce qui dépend de lui et sur les moyens d’atteindre une fin. C’est pourquoi, écrit Pierre Pellegrin, Aristote assigne à la prudence une partie spéciale de l’âme. La prudence est ainsi la vertu de la partie de l’âme qui est calculatrice, délibérative ou opinative.

Dans un troisième niveau de lecture, Pierre Pellegrin montre que la prudence n’est pas une simple habileté en s’intéressant de manière plus précise à la prudence comme vertu. En effet, seul le vertueux est prudent, et il ne peut pas être vertueux sans prudence. La prudence permet ainsi au vertueux de réaliser sa vertu. Ainsi, la prudence, en tant que disposition, est rapprochée de l’art politique : en l’absence de norme éthique transcendante ou simplement universelle, le prudent est la norme. Périclès incarne cette norme.

Présentation de l’éditeur

Une lecture superficielle du corpus aristotélicien peut laisser l’impression que l’on a affaire à une pensée d’une systématicité sans faille, alors qu’une approche plus fine en montre les tensions, les regrets, les détours. Il en est de même pour le vocabulaire qui exprime cette pensée faussement rigide. Quelques termes ont été créés par Aristote lui-même, mais la plupart viennent du grec ordinaire, et Aristote prête une pertinence certaine à leur emploi habituel. Chaque mot ou expression fait donc l’objet d’un usage polyphonique, valant à plusieurs niveaux et jouant sur plusieurs registres. De plus, l’impression que nous avons affaire, en lisant les traités aristotéliciens, à une langue technique, au sens moderne du mot, est largement le fait d’une illusion rétrospective. Vocabulaire coloré et rigoureux, foisonnant et économe.