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A propos de l'auteur

  • Alison Toualbia

    Étudiante en 2ème année de licence de Lettres modernes à l’université de La Rochelle.

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"je veux rire et pleurer en même temps". Humour et logique antonymique dans le Mariage de Figaro, par Sophie Duval.

I) Compte rendu de l’article

L’article de Sophie Duval, "Je veux rire et pleurer en même temps", s’appuie sur l’humour et la logique antonymique dans le Mariage de Figaro. A travers sa problématique "il s’agira ici de tenter de repérer l’inscription stylistique de la synthèse humoristique et de voir comment elle met à mal la logique antonymique", la critique parvient à comprendre par quels moyen l’humour subvertit l’antonymie. Plusieurs éléments sont pertinents ici. Tous d’abord, il est essentiel de repérer les systèmes antonymiques, c’est à dire les systèmes d’opposition, d’antithèses, les contradictions qui pourraient donner lieu à un traitement pathétique autant que comique. En effet, la scène de reconnaissance constitue un équilibre crée par l’ironie parodique afin d’éviter le ridicule. Dans l’acte I de la scène 2 du Barbier de Séville, nous nous sommes donc penchés sur les oppositions, avec la converse maître/valet, ainsi que l’illusion théâtrale vrai/faux, puis nous avons examiné l’humour, amené par les contrastes créant l’ironie, ici dénonciatrice de l’ époque du dix-huitième siècle.

II) Le texte étudié.

Le Barbier de Séville.
Acte I, scène 2.

FIGARO, LE COMTE, caché

FIGARO, une guitare sur le dos attachée en bandoulière avec un large ruban il chantonne gaiement, un papier et un crayon à la main. __ Bannissons le chagrin,
Il nous consume :
Sans le feu du bon vin
Qui nous rallume,
Réduit à languir,
L’homme, sans plaisir,
Vivrait somme un sot,
Et mourrait bientôt.
Jusque-là ceci ne va pas mal, hein, hein !
...Et mourrait bientôt.
Le vin et la paresse
Se disputent mon coeur...
Eh non ! ils ne se le disputent pas, ils y règnent paisiblement ensemble...
Se partagent mon coeur.
Dit-on se partagent ? ... Eh ! mon Dieu, nos faiseurs d’opéras-comiques n’y regardent pas de si près. Aujourd’hui, ce qui ne vaut pas la peine d’être dit, on le chante.(Il chante.)
Le vin et la paresse
Se partagent mon coeur.
Je voudrais finir par quelque chose de beau, de brillant, de scintillant, qui eût l’air d’une pensée.(Il met un genou en terre et écrit en chantant.)
Se partagent mon coeur.
Si l’une a ma tendresse...
L’autre fait mon bonheur.
Fi donc ! c’est plat. Ce n’est pas ça... Il me faut une opposition, une antithèse.
Si l’une... est ma maîtresse,
L’autre...
Eh ! parbleu, j’y suis ! ...
L’autre est mon serviteur.
Fort bien, Figaro ! ...(Il écrit en chantant.)
Le vin et la paresse
Se partagent mon coeur ;
Si l’une est ma maîtresse,
L’autre est mon serviteur,
L’autre est mon serviteur,
L’autre est mon serviteur.
Hein, hein, quand il y aura des accompagnements là-dessous, nous verrons encore, Messieurs de la cabale, si je ne sais ce que je dis.(Il aperçoit le Comte.) J’ai vu cet Abbé-là quelque part.(Il se relève.)

LE COMTE, à part __ Cet homme ne m’est pas inconnu.

FIGARO __ Eh non, ce n’est pas un Abbé ! Cet air altier et noble...

LE COMTE __ Cette tournure grotesque...

FIGARO __ Je ne me trompe point ; c’est le Comte Almaviva.

LE COMTE __ Je crois que c’est ce coquin de Figaro.

FIGARO __ C’est lui-même, Monseigneur.

LE COMTE __ Maraud ! si tu dis un mot...

FIGARO __ Oui, je vous reconnais voilà les bontés familières dont vous m’avez toujours honoré.

LE COMTE __ Je ne te reconnaissais pas, moi. Te voilà si gros et si gras...

FIGARO __ Que voulez-vous, Monseigneur, c’est la misère.

LE COMTE __ Pauvre petit ! Mais que fais-tu à Séville ? Je t’avais autrefois recommandé dans les Bureaux pour un emploi.

FIGARO __ Je l’ai obtenu, Monseigneur, et ma reconnaissance...

LE COMTE __ Appelle-moi Lindor. Ne vois-tu pas, à mon déguisement, que je veux être inconnu ?

FIGARO __ Je me retire.

LE COMTE __ Au contraire. J’attends ici quelque chose ; et deux hommes qui jasent sont moins suspects qu’un seul qui se promène. Ayons l’air de jaser. Eh bien, cet emploi ?

FIGARO __ Le Ministre, ayant égard à la recommandation de Votre Excellence, me fit nommer sur-le-champ Garçon Apothicaire.

LE COMTE __ Dans les hôpitaux de l’Armée ?

FIGARO __ Non ; dans les haras d’Andalousie.

LE COMTE, riant. __ Beau début !

FIGARO __ Le poste n’était pas mauvais ; parce qu’ayant le district des pansements et des drogues, je vendais souvent aux hommes de bonnes médecines de cheval...

LE COMTE __ Qui tuaient les sujets du Roi !

FIGARO __ Ah ! ah ! il n’y a point de remède universel ; mais qui n’ont pas laissé de guérir quelquefois des Galiciens, des Catalans, des Auvergnats.

LE COMTE __ Pourquoi donc l’as-tu quitté ?

FIGARO __ Quitté ? C’est bien lui-même ; on m’a desservi auprès des Puissances.
<< L’envie aux doigts crochus, au teint pâle et livide >>...

LE COMTE __ Oh grâce ! grâce, ami ! Est-ce que tu fais aussi des vers ? Je t’ai vu là griffonnant sur ton genou, et chantant dès le matin.

FIGARO __ Voilà précisément la cause de mon malheur, Excellence. Quand on a rapporté au Ministre que je faisais, je puis dire assez joliment, des bouquets à Chloris, que J’envoyais des énigmes aux journaux, qu’il courait des Madrigaux de ma façon ; en un mot, quand il a su que j’étais imprimé tout vif, il a pris la chose au tragique, et m’a fait ôter mon emploi, sous prétexte que l’amour des Lettres est incompatible avec l’esprit des affaires.

LE COMTE __ Puissamment raisonné ! et tu ne lui fis pas représenter...

FIGARO __ Je me crus trop heureux d’en être oublié ; persuadé qu’un Grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal.

LE COMTE __ Tu ne dis pas tout. je me souviens qu’à mon service tu étais un assez mauvais sujet.

FIGARO __ Eh ! mon Dieu, Monseigneur, c’est qu’on veut que le pauvre soit sans défaut.

LE COMTE __ Paresseux, dérangé...

FIGARO __ Aux vertus qu’on exige dans un Domestique, Votre Excellence connaît-elle beaucoup de Maîtres qui fussent dignes d’être Valets ?

LE COMTE, riant. __ Pas mal. Et tu t’es retiré en cette Ville ?
FIGARO __ Non pas tout de suite.

LE COMTE, l’arrêtant. __ Un moment... J’ai cru que c’était elle.... Dis toujours, je t’entends de reste.

FIGARO __ De retour à Madrid, je voulus essayer de nouveau mes talents littéraires, et le théâtre me parut un champ d’honneur...

LE COMTE __ Ah ! miséricorde !

FIGARO (Pendant sa réplique, le Comte regarde avec attention du côté de la jalousie.) __ En vérité, je ne sais comment je n’eus pas le plus grand succès, car j’avais rempli le parterre des plus excellents Travailleurs ; des mains... comme des battoirs ; j’avais interdit les gants, les cannes, tout ce qui ne produit que des applaudissements sourds ; et d’honneur, avant la Pièce, le Café m’avait paru dans les meilleures dispositions pour moi. Mais les efforts de la cabale...

LE COMTE __ Ah ! la cabale ! Monsieur l’Auteur tombé !

FIGARO __ Tout comme un autre : pourquoi pas ? Ils m’ont sifflé ; mais si jamais je puis les rassembler...

LE COMTE __ L’ennui te vengera bien d’eux ?

FIGARO __ Ah ! comme je leur en garde, morbleu !

LE COMTE __ Tu jures ! Sais-tu qu’on n’a que vingt-quatre heures au Palais pour maudire ses Juges ?

FIGARO __ On a vingt-quatre ans au théâtre ; la vie est trop courte pour user un pareil ressentiment.

LE COMTE __ Ta joyeuse colère me réjouit. Mais tu ne me dis pas ce qui t’a fait quitter Madrid.

FIGARO __ C’est mon bon ange, Excellence, puisque je suis assez heureux pour retrouver mon ancien Maître. Voyant à Madrid que la république des Lettres était celle des loups, toujours armés les uns contre les autres, et que, livrés au mépris où ce risible acharnement les conduit, tous les Insectes, les Moustiques, les Cousins, les Critiques, les Maringouins, les Envieux, les Feuillistes, les Libraires, les Censeurs, et tout ce qui s’attache à la peau des malheureux Gens de Lettres, achevait de déchiqueter et sucer le peu de substance qui leur restait ; fatigué d’écrire, ennuyé de moi, dégoûté des autres, abîmé de dettes et léger d’argent ; à la fin, convaincu que l’utile revenu du rasoir est préférable aux vains honneurs de la plume, j’ai quitté Madrid, et, mon bagage en sautoir, parcourant philosophiquement les deux Castilles, la Manche, l’Estramadure, la Sierra-Morena, l’Andalousie ; accueilli dans une ville, emprisonné dans l’autre, et partout supérieur aux événements ; loué par ceux-ci, blâmé par ceux-là ; aidant au bon temps, supportant le mauvais ; me moquant des sots, bravant les méchants ; riant de ma misère et faisant la barbe à tout le monde ; vous me voyez enfin établi dans Séville et prêt à servir de nouveau Votre Excellence en tout ce qu’il lui plaira de m’ordonner.

LE COMTE __ Qui t’a donné une philosophie aussi gaie ?

FIGARO __ L’habitude du malheur. Je me presse de rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer. Que regardez-vous donc toujours de ce côté ?

LE COMTE __ Sauvons-nous.

FIGARO __ Pourquoi ?

LE COMTE __ Viens donc, malheureux ! tu me perds.
(Ils se cachent.)

III) Commentaire.

Le Barbier de Séville ou la Précaution inutile est une comédie en quatre actes de Beaumarchais, jouée pour la première fois au Théâtre-Français le 23 février 1775, et largement inspirée de l’École des femmes de Molière.
Le comte Almaviva, tombé amoureux de la jeune Rosine qui est orpheline, est prêt à tout pour l’arracher à Bartholo, son vieux tuteur, qui a le projet de l’épouser. Tandis que, déguisé, il fait le guet, il tombe à point nommé sur son ancien valet Figaro, persifleur mais entremetteur.
En 1778, Beaumarchais remet en scène ses personnages dans Le Mariage de Figaro, qui ne sera joué qu’en 1784. Cette pièce inspirera d’ailleurs à Mozart l’opéra Les Noces de Figaro en 1786, à Vienne.
Il remettra encore ses personnages lors de La Mère coupable, troisième épisode de cette trilogie.
En 1772, Beaumarchais présente aux comédiens italiens un premier Barbier de Séville, opéra comique, qui est refusé.
La comédie définitive comportera 4 actes et une grande part réservée à la chanson. La pièce est finalement jouée en 1775. La première représentation déçoit par ses longueurs mais elle est élaguée en 5 jours et le Barbier de Séville connaît enfin un succès triomphal. Il s’agira de se demander comment dans cet extrait, beaumarchais parvient à effectuer une satire sociale basée sur divers procédés antithétiques. Nous étudierons la dimension antonymique de la scène avant d’examiner la manière dont l’humour ici est au service de la révélation d’une vérité sociale.

I) Une scène antonymique

a) Converse maître/comte

On remarque que dans cette scène d’exposition, il s’ait d’une converse valet et comte de part l’étendue des répliques de Figaro face à celles du comte. Almaviva deviendra certes plus complexe dans l’acte II et III mais ici, il semble plus pragmatique et surtout conçu pour donner les répliques à son compère, pour lui permettre de briller, élément qui permet aussi de renforcer l’opposition des personnages. Lors de la reconnaissance ligne 43 à 50, c’est Figaro qui reconnaît en premier l’autre : "Je ne me trompe point ; c’est le comte Almaviva". Réplique renforcée par la tournure soutenue de la première partie avec le terme "point" opposé à la déclarative, introduite par le présentatif "c’est". A la différence, le comte, introduit la formule " c’est ce coquin de Figaro" en phrase subordonnée introduite par la principale "je crois que". L’effet de parallélisme entre les deux répliques est perturbé avec la tournure syntaxique de celle du comte puisque l’effet du présentatif ici est réduit par la supposition avec le verbe "croire". Le fait que le comte de ne soit pas sûr de lui permet à Figaro de confirmer sa présence ligne 49 avec la répétition du présentatif "c’est lui même, Monseigneur". Figaro choisit d’ailleurs d’employer le pronom de la troisième personne "lui" pour appuyer sa présence. Ce qui a un effet humoristique que nous verrons plus loin. L’antonymie des deux hommes est confirmée lignes 50 à 54 avec la première opposition vouvoiement/tutoiement. Ce qui introduit la seconde opposition : effet répétitif ligne 54 "Je ne te reconnaissais pas, moi". En effet, le contraste comte/valet s’entrevoit aussi dans la différence entre prose et poésie. Figaro, le valet, est également un artiste puisque tout le début de la scène est composé de vers. On note une certaine construction, par exemple dans le premier quatrain qui est composé de deux hexamètres et de deux tétrasyllabes entrecroisées. Cette symétrie s’oppose au second quatrain dans lequel Figaro emploie quatre pentamètres. On note que la comte, qui ne compose pas, s’intéresse à la poésie ligne 84-85 : "Oh grâce ! Grâce ami ! Est ce que tu fais aussi des vers ?". Cette intervention du comte arrive à la suite d’une citation de la Henriade de Voltaire, introduite par Beaumarchais par le biais de Figaro "L’envie aux doigts crochus, au teint pâle et livide". Cela à pour effet de donner profondeur et intelligence au personnage de Figaro alors que le comte ne le reconnait pas. Cette citation, rappelle qu’il s’agit d’une pièce de théâtre et nous permet de constater une seconde converse antithétique.

b) Illusion théâtrale vrai/faux

Afin de reprendre les propos de Sophie Duval,nous pouvons repérer dans cet extrait le système antonymique vrai/faux, inséparable de l’intrigue comme du genre théâtral
Nous assistons en effet dans cette scène à une mise en abîme, une illusion théâtrale. Premièrement, la rencontre entre le comte et le valet ici est un moyen de diversion. Cette scène est une scène de présentation, son but est d’informer le spectateur. Ici, nous avons une représentation visuelle des personnage « te voilà si gros et si gras » ici, ’te’, la forme complément du pronom personnel à la deuxième personne du singulier et le présentatif ’voilà’ désigne la présentation de figaro.
Le comte est présenté selon un « air altier et noble », contrairement à figaro désigné par le comte de façons négative : « cette tournure grotesque » ;
Le système de la double énonciation est présent dans le texte. Nous avons d’un coté les répliques entre acteurs, qui sont particulièrement représentatives de l’illusion théâtrale mise en scène dans l’extrait. Et d’un autre côté, les répliques d’un acteur seul, s’adressant au public, constituant un monologues. Le monologue crée une rupture de l’illusion théâtrale. Il constitue une scène informative. Ici, grâce à eux, on apprend l’identité des personnages, ainsi que le passé de Figaro.
Plusieurs éléments de la scène se jouent de l’effet de mise en abîme théâtrale : Premièrement, figaro était un homme de théâtre. De plus, la première apparition de figaro dans la scène réunie toutes les conditions théâtrales. A son arrivée, il compose une chanson présentée en cours de création, ce qui renvoie également à une fenêtre ouverte sur Beaumarchais le créateur.
Le système antonymique vrai/faux, renvoyant ici à l’illusion théâtrale est humoristique puisqu’il contient le comique de situation. En effet, pendant que figaro raconte sa vie, le comte ne l’écoute pratiquement pas, il attend, et ne pense qu’à Rosine..
Un système d’opposition concernant l’illusion théâtrale est mis en lumière à travers la négation restrictive du comte « sais tu qu’on a que vingt quatre heures au palais pour maudire ses juges ? » et la déclaration de figaro « on a vingt quatre ans au théâtre ». afin de renforcer le domaine théâtral, on assiste ici à une accusation de la cabale. La cabale désigne ceux qui se liguent pour que la pièce soit un échec.
Beaumarchais dit qu’on attaque une pièce pour sa plus ou moins grade appréciation par la cabale. Il fait un tableau du théâtre. Le but de Figaro est de faire en sorte que ceux qui st payés pr applaudir fassent passer le message aux autres. Il est donc le porte-parole de Beaumarchais. Il a une forme d’auto-dérision. Il se moque des artifices utilisés par les hommes de théâtre, qu’il juge inutiles. « et d’honneur avant la pièce, le café m’avait paru dans les meilleures dispositions pour moi. » Les systèmes antonymiques, c’est à dire les antiphrases, les oppositions, les antithèses.. sont présents ici dans un but précis. Il servent à enrichir l’humour, à attribuer une dimension humoristique au texte. L’ironie de figaro en est témoin.

II) Humour comme révélateur d’une vérité sociale

a) Gaieté de Figaro

I). Ici, c’est l’humour qui subvertit l’antonymie. Si dans le mariage de figaro, figaro déclare à la page 275 « je veux rire et pleurer en même temps », Il affirme également dans le Barbier de Séville « Je me presse de rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer ». Le rire et les pleurs sont fondus ensemble. Les deux verbes antithétiques ’rire’ et ’pleurer’ sont significatifs de la gaieté de Figaro. Plusieurs antiphrases jalonnent son discours, et de ce fait, cette scène de reconnaissance mêle ainsi pathétique et comique. Ces oppositions, ces antithèses, opère une synthèse humoristique du pathétique et du comique, ainsi l’humour appareillent les verbes contraires. Par exemple, lorsque le comte dit à figaro « te voilà si gros et si gras », figaro lui répond : « Que voulez vous monseigneur, c’est la misère ». Ou encore « je vendais souvent aux hommes de bonnes médecines de cheval ». Figaro apporte de manière explicite une valeur positives à l’antonymie. Il opère en effet une gradation ascendante « je voulais finir par quelque chose de beau, de brillant, de scintillant...(...) Il me faut une opposition, une antithèse ; ».
Afin de renforcer l’aspect humoristique, le participe présent « riant »accordé au comte est soutenu par deux occurrences dans l’extrait. De plus, l’expression antithétique exprimée par figaro « riant de ma misère » apporte une certaine gaieté, une certaine légèreté au personnage. Cette gaieté dénonciatrice est explicitée par le comte à travers l’expression « ta joyeuse colère ». Le possessif « ta » et l’oxymore ’joyeuse colère’ renvoient parfaitement à l’image de légèreté accordée à figaro.

b) Figaro comme outil dénonciatif

Comme nous l’avons vu précédemment, Beaumarchais donne à Figaro des qualités de poète. Celles-ci vont permettre de justifier le discours qu’il veut donner à Figaro. Le premier argument mis en place est situé lignes 81 à 95 : Figaro résume son propos avec le syntagme conclusif " en un mot" qui introduit le prétexte ligne 94-95 " sous prétexte que l’amour des lettres est incompatible avec l’esprit des affaires". Cet argument est mis en relief avec l’opposition entre les sentiments et l’esprit, et avec le parallélisme syntaxique : nom + complément d’objet indirect.
Par ailleurs, Beaumarchais introduit dans les répliques de Figaro des citations, comme nous l’avons vu, de Voltaire, mais aussi de Montaigne, comme à la ligne 99 : "persuadé qu’un Grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal". Cette citation donne de la profondeur au discours de Figaro. En parallèle de l’illusion théâtrale, que nous avons vue, Figaro est le lien entre la réalité et le théâtre en exprimant son désir d’écrire. Seulement le comique du personnage dissimule la dénonciation, comme avec l’exemple des règles de Figaro aux lignes 117à 125 : Figaro insiste en ouverture sur la véracité de son propos avec "en vérité", qui en vrai signifie l’inverse. Il dit qu’il ne sait pas pourquoi il n’a pas eu le plus grand succès, vérité justifiée par la causalité ligne 119 " Car j’avais rempli le parterre des plus excellents travailleurs" : ici l’humour se crée par l’incrédulité de l’argument par rapport à la question. En quoi le fait d’avoir un public "d’excellents travailleurs" permet il le succès ? On note d’ailleurs l’emploi de l’adjectif qualificatif "excellent" qui met en lumière par son antéposition le terme "travailleurs". Mais ces règles absurdes comme l’interdiction des gants et des cannes permet d’introduire la réelle peur de Figaro, celle de la cabale, annoncée à la ligne 125 par la conjonction de coordination "Mais" et renforcée par les points de suspension, qui créent un effet de suspens après cette annonce. Enfin, nous remarquons la citation de Figaro lignes 139-140 " la république des lettres étaient celle des loups". Cette métaphore avec l’allitération "l" rappelle la théorie de Rousseau " L’homme est un loup pour l’Homme". Beaumarchais continue de dénoncer le comportement des hommes de lettres de Madrid en énumérant toutes les sortes de personnalités, seulement le début de l’énumération commence par "insectes"pour terminer par "censeurs". L’image de l’insecte dénonce sûrement l’idée courante selon laquelle les insectes sont nuisibles. Figaro conclut avec son départ de Madrid ligne 150 car il a compris la morale : "que l’utile revenu du rasoir est préférable aux honneurs de la plume". Enfin, Figaro ouvre son discours sur sa traversée avec l’énumération finale de toutes les régions décrites ligne 151 comme un parcours philosophique, Figaro est de nouveau disposé à "servir votre excellence" ligne 160. Cette dernière décision permet le lancement de la pièce et donc de jouer le rôle de l’élément déclencheur dans le schéma narratif.

En conclusion, notre extrait de l’acte I permet la présentation des deux personnages principaux, le valet Figaro et le comte Almaviva. La dimension dialogique de la converse comte/valet et des différents procédés antonymiques que nous avons relevés sous-tend la synthèse humoristique. L’union de l’ironie et de l’humour incarnés ici surtout par Figaro, permet à Beaumarchais d’introduire la dénonciation du système littéraire de son époque (18è siècle). Cependant, la dernière question du comte ligne 162 : "Qui t’a donné une philosophie aussi gaie ?" permet d’annoncer la philosophie de Beaumarchais, selon laquelle Figaro se presse[ra] " de rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer", ligne 163/164. Alors cette démarche philosophique qui va évoluer au fil de la trilogie, comme nous pouvons le constater dans le Mariage de Figaro "Je veux rire et pleurer en même temps", résistera-t-elle dans le dernier volet dramatique, La mère coupable ?

Alison Toualbia et Géraldine Bouilly