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A propos de l'auteur

  • Fanny Gratton

    Étudiante en 2ème année de licence de Lettres modernes à l’université de La Rochelle.
    Née le 31 décembre 1991, je me destine au concours du professorat des écoles.

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Chapitre XVII, tome II, page 103 de l’édition Folio Histoire

Dans le chapitre XVII, Tocqueville explique que le mot ’’poésie’’ a amené à ’’plusieurs significations fort diverses’’ mais il tient à soumettre ici sa propre définition.

Selon lui, la poésie est ’’la recherche et la peinture de l’idéal’’. En effet, la poésie sert à magnifier les choses et à atteindre l’idéal souhaité par le biais de la beauté. Chacun étant unique et ayant sa propre vision de la perfection ; quel est ’’ l’idéal ’’ de Tocqueville ? A t-il une idée bien précise en ce qui concerne sa quête de l’idéal ?

Cette quête de l’idéal poétique, Tocqueville la considère sous différents aspects en y mêlant fiction et réalisme.
A ses yeux, le poète ’’ idéal ’’ est celui qui sait ajouter ’’ quelques traits imaginaires ’’ et ’’ certaines circonstances réelles ’’ : ainsi, le but de son travail est ’’ d’offrir à l’esprit une image supérieure ’’ du monde environnant comme s’il se trouvait en face d’un ’’tableau’’ orné d’une multitude de couleurs qui ne se ressemblent jamais.

La particularité première de la poésie est l’existence du vers. Les vers créent le sens du langage et une musicalité sans pareille. Pour Tocqueville, les vers sont le ’’beau idéal du langage’’ mais ils ne sont pas le seul élément sur lequel est fondée la poésie.
En effet, l’échange ’’ des actions, des sentiments et des idées ’’ des citoyens est fondamentale pour créer ’’ des sources naturelles de la poésie’’. Tocqueville entend ici que chaque individu peut se réunir avec autrui et former ’’ l’idéal ’’ qui figure dans l’imagination. Néanmoins, est-ce possible de rassembler l’imagination collective du peuple démocratique ?

Afin de répondre à cette question, Tocqueville se place ici comme un sociologue. Il met en parallèle le comportement du peuple aristocratique avec le peuple démocratique. A contrario des nations aristocratiques, la démocratie est soumise à plusieurs difficultés qui l’empêchent de ’’ peindre l’idéal ’’. En effet, les biens matériels dont elle jouit lui laisse ’’exclusivement à concevoir l’utile et à représenter le réel ’’, il n’y a donc aucun moment propice à la recherche de l’idéal.

Cependant, l’aristocratie fait preuve d’un tout autre mode de fonctionnement. En effet, elle maintient ’’ l’esprit humain dans la foi ’’, la religion permet d’appréhender davantage la poésie puisqu’elle offre ’’ mille sujets divers à peindre ’’.

Pourquoi la démocratie ne trouve-t-elle aucune source dans laquelle puiser suffisamment d’inspiration à la poésie ?
Pourquoi y-a t-il un si grand fossé qui sépare les démocrates des aristocrates ?

Les arguments de Tocqueville sont nombreux en ce qui concerne l’incapacité de la démocratie à peindre l’idéal ; il continue à opposer les deux nations pour démontrer son jugement.
Depuis l’humanisme, la poésie est demeurée l’un des principaux genres où chaque source d’inspiration provenait du passé, de ce que nos aïeux nous ont légué les siècles précédents. L’égalité des hommes qui siège dans les principes de la démocratie ne permet pas, selon l’auteur, un quelconque intérêt pour le passé, c’est comme une ’’ sorte de dégoût instinctif pour ce qui est ancien ’’.

D’une autre part, Tocqueville met en lumière les avantages possédés par la nation aristocratique. Les classes sociales ont un tel écart entre elles qu’il est plus aisé de pouvoir trouver divers sujets poétiques comme ’’ leur grossièreté et leur misère ou leur raffinement et leur grandeur ’’ où le réel joue ici, de toute sa valeur.
A l’inverse, les démocrates se ressemblent tous, puisqu’ils appartiennent principalement au même statut social, et n’ont rien de pertinent à souscrire qui puisse intéresser les poètes, ils sont davantage un ’’ objet d’une grandeur médiocre ’’.
Cependant, les poètes ont essayé de puiser dans cette médiocrité , des objets de ’’ la nature inanimée ’’. Les grandes renommées de la poésie traditionnelle tels que les héros ou les divinités, n’étaient plus à convoiter.
Désormais, les poètes se destinaient à ’’ peindre des fleuves et des montagnes ’’, ce qui donnait une autre perspective de plus à dessiner sur le ’’ tableau ’’.

Cette période de poésie ’’ descriptive ’’ dans les démocraties ne semble être, pour Tocqueville, qu’ ’’une époque de passage ’’. Il ne fait pas, cependant, d’assertion radicale, puisqu’il utilise ’’ je pense ’’ et ’’ je crois ’’ qui suggèrent un degré d’authenticité douteux. Il réfléchit sur les faits et finit en concluant par ’’ je suis convaincu ’’ : la poésie descriptive ne peut demeurer éternellement, étant donné que la démocratie détourne de ’’ l’imagination de tout ce qui est extérieur à l’homme ’’.

Comment expliquer que le système démocratique est à ce point nombriliste ? L’homme peut-il réellement se suffire à lui-même ? Les autres ne sont-ils plus, alors, ce dont l’homme a besoin pour s’analyser ?

Tocqueville explique que les peuples démocratiques ont pour seul objet de préoccupation eux-mêmes. La nature environnante dans laquelle, pourtant l’homme a été crée, n’est pas le centre des inquiétudes : les hommes ’’ s’animent réellement qu’à la vue d’eux même ’’. L’individualisme est donc un procédé mis en place dans le système démocratique où les principes d’un individu sont valorisés au détriment d’un groupe.

Toutefois, l’auteur se plaît à rester tantôt fidèle à sa thèse et tantôt à la réfuter. C’est pourquoi, il constate également que malgré le refus d’avoir un quelconque contact avec le passé, la démocratie n’hésite pas à s’ouvrir à l’avenir. Les poètes y trouvent ainsi un certain avantage puisqu’ils peuvent ’’ reculer loin de l’œil leur tableau ’’ et prendre ainsi du recul sur le présent permanent. C’est comme si le poète posait son ’’pinceau’’ pour admirer son chef d’œuvre deux pas plus loin.
La peinture de l’idéal chez les peuples démocratiques serait alors possible. C’est en regroupant tous ces individus ’’ à peu prés égaux et semblables ’’ qu’une ’’ grande figure ’’ se créée pour ’’devenir l’objet de la poésie ’’.

Désormais, Tocqueville prend pour cible le peuple américain. Eux non plus ne s’occupent pas de ’’ la nature inanimée ’’, ils préfèrent s’admirer dans leurs actions, étant donné qu’ils ont une ’’ image magnifique d’eux mêmes ’’.
Ce n’est que par le mélange des individus entre eux qu’une nation se forme où l’on aperçoit ’’ la figure de genre humain ’’. Qu’entend l’auteur par cette métaphore ? Le genre humain renferme de multitudes de petites scènes de vie, ’’ certains incidents de la vie ’’ que le poète des âges démocratiques peut laquer de façon authentique.
Mais comment Tocqueville conçoit ce qu’il appelle ’’ le genre humain ’’ ? Le genre humain regroupe l’ensemble des hommes, ’’ comme un seul tout ’’ dont Dieu serait le guide spirituel.
La religion, les divinités sont ’’ une source très abondante de poésie ’’ dont il faut respecter l’espèce. C’est pourquoi, le poète veillera à colorer ’’ des passions et des idées plutôt que des personnes et des actes ’’. En démocratie, c’est en représentant l’âme de l’homme, ’’ les profondeurs de sa nature immatérielle ’’ que la peinture de l’idéal prendra toute son importance. L’idéal poétique est alors d’ ’’ illuminer et agrandir certains côtés encore obscurs du cœur humain ’’.