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A propos de l'auteur

  • Oriane Careme

    Étudiante en 3ème année de licence de Lettres modernes à l’université de La Rochelle.

Accueil || Licence de Lettres || Tocqueville || Du point de départ et de son importance pour l’avenir des anglo-américains

Tome II (première partie) Chapitre 2
pages 69-71 de l’édition Folio

La société est généralement définie comme un groupe d’individus ralliés par des besoins communs et vivant sous des lois communes. Mais quelles sont les fondements de ces sociétés . Par quelle motivations humaines celles ci prennent -elles vie ? Dans ce deuxième chapitre de la Démocratie en Amérique qui constitue « la clé de presque tout l’ouvrage » Tocqueville s’attache à rappeler l’histoire américaine pour dégager l’essence même du caractère démocratique d’une société.

L’homme est influencé dès son plus jeune âge par son environnement. Ses actes, ses pensées ainsi que ses valeurs futures naissent à l’instant même où son esprit s’ouvre au monde extérieur. Ainsi Tocqueville écrit : « les peuples se ressentent toujours de leur origines. Les circonstances qui ont accompagné leur naissance et servi à leur développement influent sur tout le reste de leur carrière ». Il en est de même pour les nations qui trouvent leurs défauts et leurs qualités ,non pas dans leur caractère évolutif forgé à travers les siècles, mais au moment même où elles naissent. Néanmoins, tout comme les hommes qui ont perdu le souvenir de leur naissance, la plupart des sociétés ont oublié ce qui est à l’origine de leur démocratie, et les individus vivent aujourd’hui sous des lois dont ils ne connaissent pas les fondements ni les motivations. Mais alors comment peut-on étudier une démocratie puisque son explication et sa compréhension résident dans sa naissance ?
Sur cette constatation , Tocqueville justifie son choix d’étudier l’Amérique ,non seulement car elle semble constituer un mode de vie sain et fonctionnel mais aussi parce que « l’Amérique est le seul pays où l’on ait pu assister aux développements naturels et tranquilles d’une société et où il ai été possible de préciser l’influence exercée par le point de départ sur l’avenir des états ». Pour ce faire, l’auteur, par le biais de citations de Nathaniel Morton « l’historien des premières années de la nouvelle Angleterre », va se poser en tant qu’historien en rappelant les évènements chronologiques et ainsi poser les bases de l’existence de la démocratie en Amérique.

Lors de son analyse historique Tocqueville utilise à plusieurs reprises la notion de ressemblance et « d’influence ». D’après lui, les émigrants qui sont arrivés en Amérique lors des différentes colonisations possédaient d’ors et déjà, inconsciemment, le principe même de la démocratie en ce qu’ils ne se sentaient pas supérieurs les uns par rapport aux autres. Ici Tocqueville détermine ce qui pour lui constitue un des principes de base de la démocratie : le principe d’égalité et affirme que « la pauvreté et le malheur sont les meilleurs garants d’égalité que l’on connaisse parmi les hommes ». Ces individus, étant égaux par leur manque de richesses, étaient alors mués par l’envie de faire une société égalitaire et libre.

L’auteur s’attache à mettre l’accent de façon positive sur ce gouvernement politique communal qu’il définit comme « le germe fécond des institutions libre ». Il prône une société où l’individu se met au service de l’intérêt général et dans laquelle chacun fait preuve de responsabilité pour le bien de la nation, rejetant ainsi un état tutélaire dirigeant ses citoyens pour aller vers une institution fondée sur la péréquation et la liberté. Mais une institution comme celle-ci peut-elle être durable ? L’Amérique peut-elle résister aux influence extérieures ?


Lors de son analyse du sol américain, Tocqueville emploie l’expression de « terre rebelle ». En effet bien que certains hommes aient tenté de lui influer certains principes aristocratiques, celle ci « repoussait absolument l’aristocratie territoriale et sa « propriété foncière héréditairement transmise ». Tout comme le sont les habitants qui y résident, le sol américain est libre et offre ses ressources seulement au moyen d’un partage arbitraire fondé sur le travail de chaque propriétaire. Néanmoins, des nuances existeraient dans cette institution et c’est ce à quoi Tocqueville va s’attacher a expliquer par la suite.
Le monde américain ne serait pas historiquement parlant, un seul et même groupe mais serait divisé en deux corps installés au nord et au sud, qu’il semble important de différencier. Dans la suite du chapitre, l’auteur met un point d’honneur à expliquer les différences entre les colonies anglaises et les colonies européennes, en soulignant explicitement les intérêts presque malveillants de nos prédécesseurs européens. En effet, « l’Europe à l’époque était encore singulièrement préoccupée de l’idée que les mines d’or et d’argent font la richesse des peuples ». L’homme européen est aveuglé par le désir de posséder, l’avarice et l’orgueil. Tocqueville parle alors d’hommes sans « aucune noble pensée, aucune combinaison immatérielle » qui seraient venus coloniser le sud de l’Amérique dans le but d’en tirer profit. L’image que donnent les anglais est, elle, beaucoup plus utopique puisque, selon Tocqueville, elle a été « comme ces feux allumés sur les hauteurs qui, après avoir répandu la chaleur autour d’eux teignent encore de leurs clartés les derniers confins de l’horizon ». Les émigrants, fondateurs de la Nouvelle Angleterre, étaient des hommes de bon sens, égaux matériellement et intellectuellement qui « s’arrachaient aux douceurs de la patrie pour obéir à un besoin purement intellectuel » et faire « triompher une idée ». Mais on peut relever dans la suite de ce chapitre une certaine contradiction dans le principe de liberté dont parle Tocqueville. En effet, ces émigrants ou encore « ces pèlerins » faisaient parti d’une doctrine religieuse austère appelée le puritanisme. Nommés les « pieux aventuriers » par l’auteur, ils avaient fuit une terre « barbare » et « abandonnée du monde pour y prier dieu en liberté ». Mais alors, peut-on réellement qualifier de libre une institution qui est synonyme de doctrine sectaire puisque les sectes fonctionnent selon des principes professés par des individus dans le but de diriger une action ?

Après avoir expliqué la raison de leur venue dans le nouveau monde, Tocqueville met en lumière les points sombres de l’évolution de la démocratie. En effet, même si aux premiers jours, les puritains avaient réussi à faire de leur institution une « société homogène dans toutes ses parties », celle ci s’est dégradée : l’esprit puritain fortement repoussé dans la mère patrie s’est exalté dans la création des lois. On assistait alors à l’époque au vote libre de lois « bizarre et tyranniques » démesurées aux vues des attitudes sereines et austères des habitants, bien qu’ils aient gardé les principes reconnus de la démocratie telles que : « l’intervention du peuple dans les affaires publique, le vote libre de l’impôt, la responsabilité des agents du pouvoir, la liberté individuelle et le jugement par jury ».
Enfin Tocqueville, à la fin de son explication, rappelle le sort des européens qui à l’époque encore, sous une royauté absolue, ne prenaient pas part à la politique et ne connaissaient pas la vraie liberté.

Ainsi, Tocqueville dans ce chapitre qui constituera la base de son argumentation, explique, grâce à des recherches poussées, une observation pointilleuse et des propos empruntés à d’autres historiens, que « l’indépendance communale forme encore de nos jour le principe et la vie de la liberté américaine ». Il s’attache pour cela à mettre en valeur la société anglo-américaine en la comparant avec celle de l’Europe, qui semble constituer pour lui le modèle à ne pas suivre. La démocratie américaine qui résulte de l’esprit de religion et de liberté, est une « énigme sociale » des plus intéressantes que l’auteur tentera de résoudre tout au long son œuvre.