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A propos de l'auteur

  • Pascale Hermann

    Professeur agrégée de Lettres.
    Enseigne en collège àFutuna.

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Impressions d’un voyage arrêté au bord du monde. Wallis et Futuna. 2003.
ISBN 2-025-0990-8
Do Escande.

Les livres sur Wallis et a fortiori sur Futuna sont comptés. Les raisons en sont nombreuses sans qu’aucune en particulier n’explique peut-être cette absence, ce constat.

Il est ainsi permis d’évoquer les distances qui séparent l’archipel de la métropole, quelque vingt milles kilomètres, deux ou trois jours d’avion, une dizaine d’heures de décalage horaire. Alléguons également une superficie peu importante et son corollaire, le peu d’âmes qui s’y trouvent, soit 142 km², -ce qui représente sur une carte du monde un point que l’on devine sans le voir- pour une population en conséquence : 14.000 habitants sur les deux îles, 9000 à Wallis, 5000 à Futuna. Une population exceptionnelle au regard du milliard et demi d’habitants qui peuplent le Pacifique. Enfin, nous le constatons ici plus qu’ailleurs, la trace écrite, l’empreinte est loin d’être universelle : futuniens et wallisiens ont transmis l’essentiel de leurs savoirs oralement qu’il s’agisse des langues, des techniques, du passé, des mythes ou des personnages légendaires. Aujourd’hui encore les rois et les habitants connaissent parfaitement bien la généalogie des familles qu’ils peuvent décliner sur plusieurs générations. Aujourd’hui encore fakamatala, histoires « épiques », -opposées des fanaga, histoires ordinaires, quotidiennes- sont racontées lors des veillées qui convoquent les hommes dans les falés tauasu. L’écrit, -qui, loin de se résumer au maniement, plus ou moins, habile de la main, induit une manière d’être au monde et de l’appréhender - a été introduit, aux alentours des années 1840, date de l’arrivée des européens et des missionnaires sur les deux îles. Ces derniers ont élaboré un système graphique essayant de respecter plus ou moins les sons distinctifs des langues vernaculaires, tâchant au mieux de les consigner dans l’espace restreint de quelques pages en offrant, par la même occasion, les tout premiers livres de -et sur- Wallis et Futuna. Citons, pour exemple, le Dictionnaire de langue futunienne du Père I. Grézel, introduit par des réflexions de l’auteur sur des notions grammaticales autour de la langue étudiée, en 1878.

Ainsi, des îles au bord du monde, Wallis et Futuna le sont, dans tous les sens du termes : spatiaux et culturels. Non pas des îles au bout du monde mais, un archipel qui le côtoie, qui le frôle d’un bord à bord lointain, si par « monde », nous entendons celui tristement identique et uniforme des pays dits de développement, nombreux au Nord de l’Equateur, plus rares au Sud mais qui sont, invariablement, donnés pour modèle et panacée.

A la monotonie idolâtrée des villes bitumées, aux campagnes cordialement éduquées et ravinées par l’agriculture intensive, Wallis et Futuna opposent une nature presque préservée de la volonté de domination des hommes du monde, guidés par le seul soucis économique de surproduire pour mieux faire surconsommer. A l’uniformité du monde, l’archipel offre la variété, à la dénaturation, il réplique par la puissance quasi-intacte de la force naturelle et humaine.

C’est cette variété que Do Escande a su consigner dans son livre après deux voyages longs, le premier à Wallis, le second à Futuna. Divers moyens ont été employés à cette fin : l’écriture, les gravures sur bois, les aquarelles et les croquis surgissent au détour d’une page, tout comme les « choses vues » ont, jadis, jailli au détour d’un chemin, ou bien, ont fusé d’une portion de lagon, d’un entre-deux entre ciel et terre. Les planches des hommes et de la nature -là un pandanus, ici un îlot, ici encore un pili uli, un coquillage tacheté, une conque orangée- se contemplent, se font face, non plus en ennemis jurés comme c’est le cas dans le monde mais, dans une harmonie visuelle d’où s’échappe cette douceur des sens dispersée au gré du vent des îles, s’imprégnant dans l’insularité des doubles-pages, reliées, entre elles, parfois, par l’aquarelle d’un fruit parfumé et coloré, papaye ouverte, citron vert, tel un trait d’union aboutant ces deux univers enfin réconciliés.

Car les univers vont souvent par deux dans Les impressions…celui de l’homme et de la nature, celui du jour et de la nuit.

Le jour offre la lumière suffisante et le prétexte à saisir une véritable galerie de portraits : femmes à l’œuvre, tisserandes infatigables du matin, tressant le pandanus, enfants souriant d’un éclat de bonheur dans les yeux, hommes dans leurs activités, la pêche, -celle que l’on pratique pour se nourrir, non pour le seul plaisir de remplir un congélateur qui déborde ou de traquer un animal au risque de bousculer un écosystème- ou encore, s’en revenant des bananeraies, des tarodières, une canne de bambou sur les épaules avec, à chaque extrémité, les paniers en pales de cocotier tressées contenant fruits et légumes. La gamme des couleurs employées, chatoyantes, adoucit le regard du lecteur diurne, tout comme le font les teintes originales, insulaires. Puis viennent, le soir, la nuit, et les portraits gambadent du positif au négatif augmentant l’impression que la nuit reste présente au jour et, que loin de conforter une temporalité duelle, elle traverse le livre, s’infiltre, se rappelle au spectateur-lecteur retenant le long de son index la navette colorée qui souligne chaque bas de page et lui permet de se promener dans le livre à n’importe quel moment du jour ou de la nuit.

Jour et nuit, ombre et lumière, se frôlent et se mêlent, s’enlacent sous un même ciel, pareillement que le font deux autres univers qu’ordinairement l’on confronte, celui de l’écriture et celui de la peinture. Ut pictura poesis, conseillait déjà Horace, faire de la poésie comme de la peinture, gommer la linéarité de la ligne, de l’inscription, du sillon pour faire voir et ressentir d’un seul tenant, d’une seule émotion -à couper le souffle-, l’émoi inspiré par l’éclair d’un paysage qui se dévoile ou la fulgurance entrevue d’un certain visage, d’une certaine posture. Les impressions vont et viennent d’une représentation à une inscription, louvoient au plus près du vent des deux formes, augmentant la poésie de l’image par les noms cristallins des îles : pluie, sternes et frégates, sève et alizé, jasmin et corail…

Ainsi, Les impressions d’un voyage arrêté au bord du monde, inventent dans la douceur et les émotions, les sensations palpables comme les pierres noires ou le « sfumato » qui tremble, incertain, aux heures chaudes, sur la piste de Futuna.

Et, au bord de l’agitation bruyante du monde et de ses inutiles complications, de ses vanités, le livre se referme, le regard plonge dans la sérénité de la mer étale, comme arrêtée… le recommencement du voyage. "Alors je me souviens de l’invitation de Mallarmé" :
« Fuir ! là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres
D’être parmi l’écume inconnue et les cieux ! » S.Mallarmé, Brise Marine.