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A propos de l'auteur

  • Alva-Ines Rodriguez

    Étudiante en 2ème année de licence de Lettres modernes à l’université de La Rochelle.

Accueil || Licence de Lettres || Tocqueville || « Pourquoi les Américains montrent plus d’aptitude et de goût pour les idées générales que leurs pères les Anglais ».

De la démocratie en Amérique, d’Alexis de TOCQUEVILLE. Chapitre III, pages 26 à 32, tome deux des éditions Folio Histoire.

« Pourquoi les Américains montrent plus d’aptitude et de goût pour les idées générales que leurs pères les Anglais ».

Le chapitre illustre une comparaison entre le peuple Anglais et le peuple Américain. Il s’ouvre par une comparaison entre Dieu et l’homme afin d’expliquer ce que sont les idées générales. Contrairement à Dieu, qui « ne songe point au genre humain en général », l’intelligence humaine ne nous permet pas « de juger individuellement tous les cas particuliers » car « l’immensité des détails » finirait par nous perdre. Pour cela l’homme « a recours à un procédé imparfait, mais nécessaire » : les idées générales. Ces règles sont le fruit de l’ « insuffisance » de « l’intelligence humaine » ; aucun fait n’étant totalement identique, il ne peut conduire à une règle générale. Mais si ces règles permettent à l’homme d’avoir un avis rapide sur un grand nombre de sujets, elles ne permettent que « des notions incomplètes » et sont moins exactes, à défaut de résoudre nombre de problèmes.
Tocqueville explique la naissance d’idées générales par le vieillissement des sociétés : ainsi plus une société vieillit, plus elle acquiert de « vérités particulières ». Celles-ci amènent l’homme, après qu’il ait découvert « le lien commun qui les rassemble » à concevoir « un plus grand nombre d’idées générales » sur lui et ses semblables, dans le but de se rassurer et de mieux comprendre, ou du moins plus facilement, le monde qui l’entoure. Cependant ce n’est pas la seule raison qui amène l’homme à créer des « idées générales ». Ainsi Tocqueville remarque que les « Américains font beaucoup plus souvent usage que les Anglais des idées générales et s’y complaisent bien davantage ». Pourquoi cette tendance alors que « ces deux peuples ont une même origine [et] qu’ils ont vécu pendant des siècles sous les mêmes lois » ? En comparant tout d’abord les Français et les Anglais, on remarque que ces derniers se plaisent dans « la contemplation de faits particuliers » dans lesquels ils trouvent les causes tandis que les Français se passionnent pour les « idées générales », et incitent les écrivains à multiplier les essais, plus ou moins bons, qui tentent de « découvrir des vérités applicables à un grand royaume » et de « renfermer le genre humain dans le sujet du discours ». L’Angleterre développe cependant son goût des idées générales mais en affaiblissant l’ancienne constitution, qui elle, s’applique à des cas particuliers.
L’inégalité, qui multiplie les classes sociales, est-elle un facteur qui empêche l’émergence des « idées générales » ? A ce moment-là, comment l’égalité des conditions peut-elle permettre l’émergence des idées générales et mener chaque individu à rechercher lui-même ces vérités par l’étude de cas particuliers ? Dans des conditions inégales, « les individus deviennent peu à peu […] dissemblables », ce qui fait perdre l’idée d’humanité et ne permet d’envisager « que certains hommes ».
Dans les sociétés aristocratiques, les idées générales sont rejetées. Cependant, dans les pays démocratiques, l’égalité qui y règne permet de faire cohabiter « que des êtres à peu près pareils » ce qui amène à l’émergence d’idées générales : en effet, tous les hommes étant semblables, les vérités sont applicables « de la même manière à chacun de ses concitoyens ». Cependant cette manière de penser a un effet pernicieux puisque les hommes se mettent alors à vouloir découvrir des règles communes dans tous les domaines. Cette volonté d’expliquer un ensemble de faits par une seule règle devient alors « une passion ardente » qui « souvent aveugle l’esprit humain ».

Ainsi l’idée générale qu’un peuple puisse naître libre et semblable n’a pas existé à l’époque des grands écrivains et génies de l’Antiquité où l’esclavage avait cours. Mais ceux-ci voyaient ou faisaient partie de « l’aristocratie des maîtres » qui aveuglaient alors l’esprit humain : ils trouvaient donc normal le fait que certains humains soient jugés inférieurs et donc mis en esclavage. Ce serait avec l’arrivée de Jésus que cette idée que « tous les membres de l’espèce humaine étaient naturellement semblables et égaux » fut mise à jour. Ainsi les hommes furent indépendants, bien que faibles, et libres de comprendre le monde et de rechercher les « grandes causes » qui touchent aussi bien leurs semblables qu’eux-mêmes et qui les poussent de l’avant. L’esprit humain se mit alors à concevoir des idées générales.
Tocqueville considère le peuple Anglais comme des « esprits resserrés et immobiles », car deux tendances s’opposent en leur sein : la connaissance les mènent vers des idées générales tandis que leurs « habitudes aristocratiques » les conduisent vers des idées de cas particuliers : ces tendances provoquent alors une immobilité de l’esprit. Les peuples démocratiques, eux, sont menés exclusivement vers des idées générales. Cependant il faut différencier ces mêmes-idées en deux classes. Les idées provenant d’un « travail lent, détaillé et consciencieux » qui permettent d’accroitre les « connaissances humaines » ; et les idées qui ne nécessitent qu’un « effort rapide de l’esprit » et qui n’aboutissent qu’à « des notions très superficielles et très incertaines ». Ce parallèle met en lumière les avantages et les inconvénients que peuvent apporter des idées généralisantes.
Mais pourquoi le peuple des pays démocratiques est-il porté vers les idées générales ? C’est un peuple curieux, curiosité dûe à l’égalité, mais aussi un peuple qui n’a que très peu de loisir pour penser. C’est donc de manière naturelle qu’il se porte vers les idées générales qui les « dispensent d’étudier les cas particuliers ». De plus le peuple d’un pays démocratique a un goût pour les « succès faciles et [les] jouissances présentes », qui le pousse à des idées générales, souhaitant percer le secret de grandes découvertes au prix de peu d’effort.
Le chapitre est conclu par l’affirmation de la différence entre le peuple anglais et le peuple américain, sans émettre un jugement sur leur manière de penser. Les premiers, aristocrates, « font peu usages des idées générales » tandis que les seconds en abusent. Une démocratie parfaite ne serait-elle pas l’utilisatrice d’idées à la fois particulières et à la fois générales et cela avec mesure dans le but de cultiver l’égalité tout en gardant l’individualité de ses concitoyens ?