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A propos de l'auteur

  • Romain Ouvrard

    Étudiant en Licence de Lettres modernes à l’université de La Rochelle.

Accueil || Licence de Lettres || Tocqueville || Pourquoi les américains se montrent si inquiets au milieu de leur bien-être ?

Alexis de Tocqueville – De la démocratie en Amérique, Tome II, Chapitre 13 page 190

Analyse Linéaire :

Dans ce chapitre Tocqueville commence par mettre en exergue les disparités entre deux types de populations. L’un qu’il dit « fort misérable » et l’autre composé des « hommes les plus libres et les plus éclairés ». Ces deux classes d’individus semblent être représentatives des deux extrêmes de la population globale comme le montre les nombreux superlatifs « fort », « le plus », « les plus ». Mais cet échantillon de populations distinctes met en avant un paradoxe quant aux sentiments de ces classes extrêmes. La première semble d’une « humeur enjouée » bien qu’elle subisse l’oppression, et la seconde est, malgré sa liberté, « grave et presque triste ». Se confrontent alors les « maux » des « misérables » et les « biens » des « éclairés » dans une fausse antithèse, grâce à la polysémie du nom « bien », ici synonyme de propriété. Des lors la notion de morale est abordée de manière singulière car intimement liée à l’idée de possession. Elle même accolée à la notion de rêve, « tandis que les autres songent sans cesse aux biens qu’ils n’ont pas ». Le bonheur devient alors, pour les américains, une quête inconsciente et inassouvissable car le rêve ne connaît aucune limite.

Mais selon Tocqueville de quelle manière les américains entreprennent-ils cette quête ?

Avec une « sorte d’ardeur fébrile ». Presque un oxymore, cette combinaison inattendue de mots nous donne l’image d’un symptôme. En effet, si l’ardeur est un qualificatif des plus positifs, associé à « fébrile », relatif à la fièvre, la quête du bonheur que les américains poursuivent, deviendrait alors l’objet de leurs maux, leur maladie. La fièvre acheteuse ? Plusieurs autres termes illustrent cette angoisse, « tourmentés », « une crainte vague », « il craint », ou encore « sa curiosité inquiète ». Cette dernière citation est d’ailleurs caractéristique du tourment dans lequel les américains sont plongés au gré de leur quête .
Une quête entreprise dans un univers hostile au premier abord, avec des termes comme « tumulte universel », « remuait », « tourbillon de la politique » qui donnent l’impression d’une forte houle. Une métaphore qui n’est pas anodine, tant la symbolique de la mer agitée nous ramène a l’idée de doute, d’incertitude. Elle est aussi le symbole d’un monde changeant et instable. Ce monde dans lequel les américains évoluent. Leur quête devient alors une chasse et des termes comme « poursuivent », « cette poursuite », « courir après » donnent au bonheur l’aspect d’une proie, qui leur est impossible à saisir.

Mais qui est réellement la proie ?

La proie n’est pas celle que l’on croit. Car l’américain dans sa vaine entreprise, est bientôt rattrapé par le temps. De nombreuses expressions nous donnent l’image d’une course contre la montre, on peut noter « la route la plus courte qui peut y conduire », « tant de précipitation », « courir après », « chaque instant », « s’il ne se hâte ». Ou encore cette série de phrases à la construction identique « Un homme, aux États-Unis, bâtit […] , et la quitte ». L’hyperbate que forme le « , et il » répété à plusieurs reprises donne l’impression d’un balancement, d’une marche rapide. Jusqu’au moment fatidique, « La mort survient enfin et elle l’arrête avant qu’il se soit lassé de cette poursuite inutile d’une félicité complète qui fuit toujours. ». Nous pouvons remarquer une assonance en ’i’, qui accentue l’impression de fuite, l’homme est mort sans s’être emparé du bonheur, mais ce dernier continu sa course. Lucide de cette issue funeste, l’homme américain souffre de ses futurs actes manqués, « Il en imagine à chaque instant mille autres que la mort l’empêchera de goûter, s’il ne se hâte ». Une souffrance qu’illustre parfaitement un rythme ternaire présent dans la phrase suivante, « Cette pensée le remplit de trouble, de craintes et de regrets ».

Mais pourquoi un tel déchirement ?

Plus haut nous avions évoqué l’idée de fièvre, de maladie. Il se pourrait que Tocqueville est identifié la pathologie dont souffrent les américains. La maladie d’amour ? Il semblerait que ce qui lie l’homme au bien, dans la société américaine, soit équivalent à un amour inconditionnel, et à sens unique. Nous pouvons relevés un certain nombre de termes faisant référence à celui-ci, « passion », « trépidation ». Et plus précisément à l’amour consommé, puisque « l’objet final étant de jouir », l’homme ressent « une grande excitation » à l’idée d’assouvir ses « désirs ». L’homme entretient alors avec le bien un rapport semblable à la sexualité, sous l’emprise passionnelle de la propriété, il répondrait à des pulsions. Cette passion est illustrée par des rythmes binaires, « prompt et facile », « ardentes et molles », « violentes et énervées ».

Puis Tocqueville aborde le thème de l’égalité. Cette dernière fait naître l’individualisme qui rend chaque « citoyens individuellement faible » et qui fait naître à son tour la compétition, la concurrence. Dés lors les hommes n’étant pas animés de la même ambition, l’égalité ne saurait jamais percer dans une démocratie tant chaque êtres-humains est différent d’un autre. Le « désir d’égalité » naît alors par jalousie, le citoyen ne supportant pas qu’un autre citoyen possède un plus grand patrimoine que le sien. Néanmoins ce désir ne saurait jamais être assouvi tant les disparités entre les êtres existent, nous pensons à l’intelligence notamment qui selon Tocqueville vient « directement de dieux ».
Enfin il clos ce chapitre par un rythme ternaire révélateur du mal-être individuel inhérent à la démocratie, accentué par des superlatifs. « les espérances et les désirs y sont plus souvent déçus, les âmes émues et plus inquiètes, et les soucis plus cuisant ».