
Qu’est-ce qui pourrait arrêter un écrivain d’écrire ? « Ecrivain » entité narratrice du dernier Markson avoue dès l’ouverture du roman :
« Ecrivain est très tenté d’arrêté d’écrire.
Ecrivain est plus que las d’inventer des histoires. »
D’où des réflexions sur l’écriture romanesque qui ponctuent le texte tantôt comme une conversation avec le lecteur tantôt comme un dialogue d’Ecrivain avec soi-même :
Un roman sans la moindre indication d’une intrigue quelconque, voilà ce qu’aimerait inventer Ecrivain. (p. 12)
Alors à défaut d’intrigue l’auteur passe en revue les anecdotes et les fins souvent tragiques des autres écrivains, des peintres, des philosophes, des musiciens et autres artistes en tous genres. Arrêter d’écrire est ainsi une succession de paragraphes qui s’offrent comme des sujets de romans possibles, comme des réflexions sur l’injustice qui entoure la vie d’artiste (« Schubert n’a jamais pu se payer de piano. », p. 45), et comme une réflexion sur la mort qui rend vaine tout acte d’écrire : « F. Scott Fitzgerald est mort après plusieurs crises cardiaques. Ses derniers relevés de droits d’auteur montrèrent que sept exemplaires de Gatsby le magnifique s’étaient vendus au cours des six derniers mois. »
Panthéon romanesque, le roman de David Markson pousse ainsi l’écriture aux limites de l’amertume et de l’anecdotique : est-il vain d’écrire, puisque tous les grands hommes meurent dans les souffrances, dans la misère et dans l’incompréhension ? C’est ce que suggèrent ces bribes de conversations que le lecteur saisit au fil des pages, ces critiques acerbes que les grands hommes se jettent entre eux :
« Ecrit avec l’imagination d’un sauvage ivre.
Disait Voltaire de Hamlet.
Il n’est pas d’horreur concevable à l’esprit humain qui ne se soit pas déversé dans ces pages stupides.
A dit Alfred Noyes à propos d’Ulysse. »
Etonnante écriture que celle de David Markson ! Sous les apparences de l’anecdotique et de la lassitude, l’auteur se joue de son lecteur et s’amuse. Pas question d’arrêter d’écrire ! Car le roman est bien pensé, finement travaillé, et demande au lecteur une activité de décryptage qui est un plaisir de plus dans cette lecture. Comment David Markson passe t-il d’un texte à l’autre, d’une anecdote à une citation … pas question d’arrêter de lire ! Le lecteur s’amuse lui aussi des indices donnés par l’auteur, comme ce jeu sur l’écriture beckettienne :
« Samuel Beckett a un jour assisté à un match entre New York et Houston au Shea stadium.
Je pourrais mourir aujourd’hui, si je le souhaitais, simplement en faisant un petit effort, si j’étais capable de le souhaiter, si j’étais capable d’un effort. ».
Mais il est temps d’arrêter cette critique (thème qui d’ailleurs parcourt lui aussi le roman) avant de mal finir :
« Berlioz à propos des critiques :
D’où viennent-ils ? A quel âge les envoie-t-on à l’abattoir ? »
Présentation de l’éditeur :
L’auteur de ce livre envisage d’arrêter d’écrire. Las du manège romanesque et de ses vains artifices, il accumule alors anecdotes, citations et autres « curiosités culturelles » sur les artistes de tous les pays et de tous les temps, compilant les causes de décès, soulignant les ironies de la postérité, signalant des hasards surprenants… Peu à peu, certains motifs émergent de cette litanie terrifiante, tels que la vanité de l’art ou l’absurdité de la mort, tandis que l’hypocondriaque « Écrivain » s’efforce de donner un sens à son refus de jouer le jeu littéraire.
Joute verbale entre le sublime et le ridicule, florilège piégé autant que monologue intérieur, Arrêtez d’écrire questionne notre culture, notre mémoire, et finit par évoquer un énigmatique jeu de l’oie où le lecteur, sans cesse déstabilisé, ne peut s’empêcher de relancer à son tour les dés pipés de la lecture.