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A propos de l'auteur

  • Diane Anastassiou

    Étudiante en licence de Lettres modernes à l’université de La Rochelle

Accueil || Licence de Lettres || Tocqueville || De La Démocratie en Amérique, tome II, chapitre II « De la source principale des croyances chez les peuples démocratiques » p.20 à 25

Tocqueville au sein d’un énoncé argumentatif, comme le prouve entre autre, la présence en de nombreuses occurrences des conjonctions de coordination « or », « car » ou « mais » et de l’adverbe « ainsi », explique comment « l’égalité des conditions » influe sur la liberté des hommes et représente une menace pour la démocratie.

Tocqueville établit des faits pour ensuite en tirer les conclusions qui s’imposent. Il se base sur « les croyances dogmatiques (…) c’est-à-dire des opinions que les hommes reçoivent de confiance et sans les discuter ». Il explique qu’elles ont toujours existé et existeront toujours, car l’homme n’a pas la capacité intellectuelle de s’en passer. D’autant plus que ces « idées communes » sont le terreau qui permet aux hommes d’agir ensemble pour former une société. Ces « opinions » sont donc nécessaire à l’homme seul et au groupe qu’ils forment ensemble. Cependant pour Tocqueville, l’opinion se caractérise par celui qui la prononce et ne possède pas de raisons rationnelles d’exister puisqu’elle ne se fonde pas sur un savoir. L’opinion est instable. Et en adoptant ces « croyances » communes nécessaires, l’homme « met son esprit en esclavage » : il perd sa faculté à penser par lui-même, ce que le siècle des Lumières a précédemment inscrit comme la caractéristique essentielle de l’expression de la liberté individuelle. Pourquoi alors, dans ces conditions, l’homme fait-il le choix d’adhérer à ces opinions communes ?

Tocqueville explique que l’absence de hiérarchie chez les hommes due à « l’égalité des conditions » ôte tout besoin des uns et des autres, toute dépendance ; les hommes sont donc tous similaires, tous « semblables ». Il n’y a plus de différences entre eux et ils acquièrent la même valeur. De cette ressemblance nait une absence de confiance envers l’Autre. Mais puisque les hommes sont les mêmes mais qu’ils ne se font pas confiance est ce que cela signifie que les hommes n’auraient plus confiance en leur propre jugement ?
« L ’égalité des conditions » selon Tocqueville, pousse les hommes à « l’incrédulité » d’un seul homme comme source de l’opinion commune, car chacun veut faire valoir la sienne. De plus, cette égalité amène le « public » à imposer ses croyances. Cette « majorité » ne persuade pas les individus, elle les oppresse en les menaçant de les exclure, de les marginaliser ; elles les assomme et les empêche de ce fait de réaliser leur liberté. L’individu adhère à l’opinion commune pour ne pas se démarquer des autres. Il n’a pas confiance en son jugement, mais il a confiance en celui de la « majorité ». Il ne fait pas confiance à l’Autre donc, mais aux autres, car il lui paraît logique que si le plus grand nombre pense la même chose, cela soit la vérité.
Un paradoxe se forme alors, chez l’homme démocratique soumis à « l’égalité des conditions ». En effet, il est fier d’avoir le même statut que les autres, d’appartenir à un ensemble ; mais ce sentiment satisfait s’oppose à l’accablement de se sentir « insignifiant et faible » (le rythme binaire donné à ces adjectifs symbolise bien la lourdeur du sentiment) face à ce même ensemble, car son individualité n’est pas reconnue. Il apparaît ainsi, un sentiment de solitude dans la masse.

Cependant, pour Tocqueville, il est dans la nature de l’homme de reconnaître une puissance à celui qui l’opprime. De ce fait, l’individu lui-même justifie le pouvoir de cette écrasante « majorité ». Le pouvoir de la « masse » est donc clairement donné, selon Tocqueville, par l’égalité : elle amène la « foi » dans l’opinion commune. Et cette dernière devient le nouveau « prophète ». L’emploi, par Tocqueville, de cette métaphore religieuse illustre l’intensité du pouvoir de la « majorité ».
Cette sur-reconnaissance d’un groupe où aucun homme ne se démarque par rapport à un autre, contrairement à une société où « les conditions sont inégales », forme donc une moyenne. Cela veut-il alors dire qu’une société démocratique fondée sur l’égalité est une société médiocre ?

Tocqueville part du principe que la démocratie se base sur l’individualisme et la liberté de chacun ou autrement nommée par Tocqueville « indépendance individuelle ». Elle doit donc garantir cette liberté de droit, c’est-à-dire par les lois. Et il en va de même pour la liberté intellectuelle ou liberté de pensée qui fait intégralement partie de cette liberté individuelle. Il faut donc nécessairement un garde-fou à l’opinion publique pour en éviter les dérives.
Les hommes démocratiques ont pleinement conscience que les croyances sont le fruit de leur esprit, c’est donc au sein de l’humanité et non au sein d’une force « surnaturel[le] » qu’ils vont en chercher « l’arbitre ».

Tocqueville prend en exemple les États-Unis où « la majorité » fournie un grand nombre d’opinions que les citoyens adoptent sans les éprouver par leur intelligence. Aux États-Unis ,explique Tocqueville, les lois incitent cette puissance de « la majorité », ce qui accroît d’autant plus son pouvoir mais ne le fonde pas pour autant. Aux États-Unis, le pouvoir de la masse va jusqu’à toucher la religion, par là même la liberté de culte et donc la liberté individuelle. Tocqueville remarque que la religion est vécue comme une opinion commune à laquelle l’homme adhère pour ne pas être exclu plutôt que comme l’expression de sa liberté.
Cet exemple de la religion montre également que pour Tocqueville, la liberté se constitue dans le choix. Ce sont les choix que les hommes font qui posent leur individualité, c’est-à-dire qui ils sont. Et « l’égalité des conditions » en procurant tout le pouvoir à la majorité, soustrait l’homme à ses choix. Elle fait les choix pour lui et de ce fait nie sa liberté. De par cette position Tocqueville montrerait, bien avant Sartre, une posture existentialiste.

« L’égalité des conditions » dans une démocratie empêche les hommes d’affirmer pleinement leur liberté individuelle. Ils se partagent une liberté et n’ont de ce fait qu’une liberté moyenne ce qui donne lieu à ce que Tocqueville appelle la « médiocratie ».

Tocqueville en arrive à la conclusion que le danger pour l’homme d’une démocratie fondée sur l’égalité des conditions est qu’elle amènerai l’individu à perdre sa capacité à penser par lui même et pour lui même peut être aussi. L’état démocratique se caractérise par sa mise en avant de la liberté individuelle mais les lois misent en place peuvent annuler ce fait et favoriser le pouvoir de la majorité au détriment de la liberté de chacun. Le but recherché d’une vie individuelle, libre et indépendante ne serait ainsi pas atteint. L’homme sera soumis à la majorité. Ce n’est pas parce que le plus grand nombre le pense que c’est la vérité. L’individu si il veut rester libre ne doit pas se laisser flouer l’esprit par l’opinion de tous mais il doit se faire sa propre opinion.

Pour finir, la société démocratique basée sur une « égalité des conditions » déresponsabilise ses citoyens et c’est selon Tocqueville une mauvaise chose. Le citoyen n’est plus en prise avec la vie sociétal, la démocratie perd donc l’un de ses acteurs majeurs et se transforme en tyrannie.