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A propos de l'auteur

  • Marie Chaudron

    Étudiante en licence de Lettres modernes à l’université de La Rochelle.

Accueil || Licence de Lettres || Tocqueville || De quelques sources de poésie chez les nations démocratiques

_ Dans ce chapitre, Tocqueville est catégorique, il affirme sa vision de la poésie, en dépit des nombreuses propositions précédemment faite sur le sujet. Il ne veut pas infliger aux lecteurs une énième analyse et choisit donc ceci : la poésie est « la recherche et la peinture de l’idéal ». A partir de ce postulat, la question se pose sur le choix de ce genre, en terme d’argumentation. Pourquoi la poésie serait-elle un sujet propice à l’analyse d’une société démocratique ? Qu’est ce que cet art apporte de plus à l’analyse de Tocqueville ? Dans quel but fait-il cela ?
En choisissant les sources d’inspiration chez des poètes de nations différentes, il peut alors analyser l’évolution de la société, l’influence que cela porte au travail et à la réflexion de l’homme. En outre, il choisit de confronter le modèle démocratique au modèle aristocratique, le but étant de voir comment dans une démocratie, les hommes se prêtent « à l’imagination de l’idéal », autant que l’ont fait les poètes du régime aristocratique. Ces derniers n’ont pas eu peur de laisser leur esprit s’élancer « au-delà et au- dessus de ce qui les environne », contrairement aux nations démocratiques, dont les goûts des jouissances matérielles, la « concurrence », « l’idée du mieux », limite l’idéal de la poésie. « L’imagination n’est point éteinte, mais elle s’adonne presque exclusivement à concevoir l’utile et à représenter le réel », c’est-à-dire que le poète se limite aux règles et aux mœurs, laissant de côté le plaisir de la création et la liberté de l’esprit. En effet, pris dans une société individualiste, chacun ne voit dans la création que son propre intérêt. Or, si l’on tend vers une progression, ne serait-il pas plus favorable de gravir une véritable réussite individuelle afin de faire évoluer des idées, des principes… ? Tocqueville nous met en garde contre le principe d’égalité (terme propre aux sociétés démocratiques), plaçant l’individu en perpétuelle concurrence avec son prochain, par peur d’être inférieur à lui. En ce sens, le danger se situe dans la médiocrité de la création. L’égalité « diminue le nombre des objets à peindre », car dans une démocratie l’homme voit dans l’homme un semblable ; « objet d’une grandeur médiocre ». Dans une société aristocratique la distinction qui s’opère entre différentes classes sociales, pousse l’individu à l’imagination d’un monde qu’il ne connaît pas, il peut ainsi « ajouter ou ôter quelque chose au réel ». A travers l’analyse de la poésie, il est possible de constater l’évolution, la progression des sociétés, comme l’expose Tocqueville dans son introduction De la démocratie en Amérique, « le développement graduel et progressif de l’égalité est à la fois le passé et l’avenir de leur histoire » (Introduction, Tome I), c’est ce que les hommes doivent comprendre pour admettre la démocratie et l’impossibilité d’un retour en arrière. D’ailleurs, les peuples démocratiques « ne s’inquiètent guère de ce qui a été », le temps semble avoir une place importante dans ce chapitre, il marque l’évolution des sociétés et ce qui pousse le poète à la création. Le passé, le présent et le futur construisent le propos, « après avoir ôté à la poésie le passé, l’égalité lui enlève en partie le présent. ». C’est ce à quoi réfléchit Tocqueville. Dans une démocratie ou le terme « d’égalité » est le maître mot, la question est de savoir ce que cette société est capable d’offrir de plus qu’une société aristocratique en fonction de son milieu d’évolution. « La démocratie, qui ferme le passé à la poésie, lui ouvre l’avenir », c’est-à-dire qu’elle propose une nouvelle forme de « l’idéal » en s’appuyant sur d’autres sources d’inspirations, à l’inverse des sociétés aristocratiques qui trouvent l’inspiration à travers des classes sociales clairement opposés et qui se méconnaissent. Les sociétés démocratiques puisent leur inspiration, non plus dans l’individu, mais dans l’idée de groupe, ce qui est sujet au peuple lui-même. Tocqueville pense que tous les citoyens sont « à peu près égaux et semblables. ». En ce sens, l’individu ne peut venter les mérites d’un idéal puisque chacun se reconnaîtrait dans l’autre. De plus, si l’aristocrate est ancré dans sa société avec pour chaque individu une place bien marquée dans la société, il en est autrement pour le démocrate. Ce dernier se tourne vers la majorité car il n’a pas confiance en lui-même. Etant tous égaux, il n’y a donc pas de supériorité entre les individus. Donc s’il n’y a pas d’esprit de concurrence entre les démocrates, ils doivent se reporter vers d’autres sources d’inspiration en s’appuyant sur le futur, par exemple, la poésie leur ouvrant la porte de l’avenir. Ainsi, « leur imagination n’a point de limites ; elle s’y étend et s’y agrandit sans mesure ». Les citoyens voient apparaître plus clairement l’idée de peuple, « cette grande figure [qui] prête merveilleusement bien à la peinture de l’idéal. ». En prenant l’exemple des américains, en peignant un portrait négatif de cette société, « on ne saurait rien concevoir de si petit, de si terne, de si rempli de misérables intérêts, de si antipoétique, en un mot, que la vie d’un homme aux Etats-Unis », Tocqueville met l’accent à la fois sur le danger des biens matériels, l’égocentrisme dont fait preuve les individus d’une démocratie. Mais cependant s’il existe une réelle poésie, ce portrait négatif pousse à chercher ce qui les inspire. La société démocratique est caractérisée par l’impatience et le désir des hommes. En ce sens, ils sont toujours en quête de rencontres, de nouvelles expériences. Et par l’échange et la découverte l’auteur conclu que l’ensemble des différents pays n’est plus « qu’une vaste démocratie ». C’est alors que la notion de genre humain fait son apparition et « devient une mine très féconde pour la poésie ». Contrairement aux aristocrates qui s’appuyaient sur les incidents de la vie quotidienne, les démocrates écrivent « les destinées de l’espèce humaine ». Le changement devient donc une source d’inspiration poétique. En passant de « l’individu » au « genre humain », il découle toute l’argumentation du passage d’une société aristocratique à une société démocratique par l’intermédiaire de la poésie comme résultat de la pensée de l’homme, de sa réflexion. Le travail de ce dernier est influencé par son environnement. Donc par la lecture de leurs œuvres, nous pouvons découvrir d’où naît leur inspiration, quelles sont leurs sources de travail. La recherche d’une inspiration n’est plus dans un idéal, mais au creux « des passions et des idées plutôt que des personnes et des actes. ». En effet, chacun connaît déjà ce qui l’entoure. « Cela force les poètes à percer sans cesse au-dessous de la surface extérieure que les sens leur découvrent, afin d’entrevoir l’âme elle-même. ». L’inspiration naît de l’homme lui-même, confronté à la nature et à dieu, en proie à différentes passions et aux doutes. L’homme est une source d’inspiration idéale car il est le passé, le présent, le futur. Son existence est éphémère et sa connaissance est encore faible. Les « ténèbres impénétrables » dont parle Tocqueville sont la source d’inspiration des poètes des sociétés démocratiques. Comme une sorte de leitmotiv, elle pousse l’individu à chercher toujours plus loin ce qui peut peindre la caractère idéal de la poésie. Ils ne veulent plus peindre les objets du quotidien que tout le monde connaît et qu’ils jugent trop médiocre. De plus la religion leur apparaît sous un autre angle, ils ont une idée « beaucoup plus vaste de la Divinité ». Ils voient en dieu, celui qui « conduit l’espèce » et parle de « dessein ».
« L’égalité ne détruit donc pas tous les objets de la poésie ; elle les rends moins nombreux et plus vastes ». Tocqueville conclut son propose sur la notion d’égalité. Après avoir, dans une méthode comparatiste, confronté deux sociétés différentes, l’auteur voit dans la notion d’égalité ce qui pousse l’homme à aller au-delà des idées apparentes et chercher plus loin ce qu’il a en lui depuis toujours. C’est chercher dans les passions de l’âme, à la rencontre de nouvelles inspirations.