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A propos de l'auteur

  • Valérie PEREZ

    Fondatrice de ce site et auteur de la majorité des articles mis en ligne.
    Professeur agrégée et docteur en philosophie.

Le déroulement de la pièce

Le Jeu d’Adam ou Jeu de La Feuillée (1276) Traduit de l’ancien français (picard) par Jacques Darras (édition Le Cri/ In Hut)

  • Adam décide de prendre congé des ses amis, d’Arras et de sa femme. Le congé est un motif littéraire médiéval : il s’agit de faire ses adieux à la compagnie :

    Extrait (p. 13) :

    Adam :

    Savez-vous, Messieurs, pourquoi je change d’habit ?
    J’avais épouse hier, et clerc me revoici.
    Je nourrissais depuis bien longtemps le projet :
    Mais d’abord j’ai voulu de vous prendre congé.

  • Adam justifie son départ en évoquant la beauté déchue de sa femme :

    Extrait (p. 17-19) :

    Mais l’Amour flatte si fort les gens
    Que toutes les grâces d’une femme
    Il illumine, la fait si grande
    Que l’on croirait d’une truande
    Que ce fût une princesse de sang.
    Ses cheveux d’or semblaient luisants,
    Fermes et souples et chatoyants ;
    Ils sont tombés, ils pendent tout noirs,
    En elle tout me semble changé :
    Son front par le compas tracé,
    Blanc, lisse, large, bien fenêtré,
    Est tout étroit et tout ridé.
    Elle semblait avoir les sourcils
    Arqués, subtils, bien dessinés,
    D’un poil qu’on eût dit au pinceau,
    Pour rendre son regard plus beau ;
    Ils sont épars, ils sont dressés,
    Comme si en l’air ils s’envolaient.
    (…)
    Il est honnête que j’avoue
    Avant de l’avoir engrossée
    Plutôt que d’en payer le coût
    Car ma faim est bien apaisée.

    Cette tirade constitue un morceau de bravoure. L’articulation de ce portrait repose sur des conventions littéraires très précises. On ne peut rein en conclure de sérieux sur le plan autobiographique : ce qui importe c’est ce détournement comique du portrait amoureux de la littérature courtoise.

  • Le thème de l’avarice : critique des habitants d’Arras : il s’agit bien de montrer du doigt les travers des Arrageois, à commencer par le père d’Adam de la Halle :

    Extrait (p.23) :

    Henri Père d’Adam :

    Mon pauvre garçon, comme je te plains
    D’avoir gaspillé tout ton temps
    Pour une femme ! Tu as gâché
    Ta vie : la sagesse c’est va-t’en !

    Guillot le petit :

    Allez, donnez-lui de l’argent !
    Car ça n’est pas gratuit, Paris.

    Henri :

    J’ai mal ! Je souffre ! D’où le tirer ?
    Je n’ai à moi que vingt-neuf livres !

    Hane le mercier :

    Par le cul Dieu, êtes-vous ivre ?

    Henri :

    Non non je n’ai pas bu de vin.
    Les sous ne m’ont pas rendu soûl.
    Mais ce salaud me les soutire !

    Adam :

    Je ne suis pas dans le caca !
    Comment chierai-je donc aux écoles ?

    Henri :

    Aide-toi, mon fils, le chiel t’aidera.
    Tu es habile, tu es costaud.
    Moi je ne suis qu’un vieux quinteux,
    Maître en toutes toux, rhumes et crachats.

    Le médecin :

    Foi de mon foie, cher Maître Henri,
    Je connais bien la maladie,
    Elle se nomme avarice.
    Si vous voulez que je guérisse,
    Confiez-vous tranquillement à moi.
    Je suis très bien achalandé,
    J’ai des patients de tous côtés,
    Que je guérirai de ce mal ;
    J’en ai notamment dans cette ville,
    En comptant bien, plus de deux mille,
    Qui n’ont répit ni réconfort.
    Il y a Halois, près de la mort,
    Il y a aussi Robert Cosel,
    Il y a le bec-de-lièvre Faverel.
    Toute leur famille est au même point.

  • Gourmandise, avarice, luxure, les personnages de la pièce commettent tous les péchés ! L’arrivée de Dame Douce le confirme. Elle accuse Riquier d’être le père de son enfant. Suit ensuite une satire des femmes : il y a celle qui se remarie et qui se fait craindre des hommes, comme la femme de Mathieu Lantier, celle qui ne cesse de chercher querelle, comme Margot des Pommettes, celle qui est trop bavarde comme Aelis au Dragon, d’autres sont tout aussi hargneuses, telle la femme d’Adam, ou celles d’Henri d’Arjans et de Maître Thomas de Darnetal.
  • Pour guérir l’assemblée de ses vices et de ses folies, il y a saint Acaire, qui fait une entrée en scène très remarquée :

    C’est le moine qui l’introduit : « Messieurs, Messieurs, faites la place à Monseigneur de saint Acaire. » (p. 35) Comme il guérit de la folie, c’est Wallet le plus fou de tous (« Des fous vous êtes l’empireur ») qui s’adresse à lui en ces termes : « Chiure saint Acaire que Dieu chia prends moi dans ta purée de pois, je suis un fou de profechion ». Le dervé, autre fou de renom, le suit de près sur cette scène des fous.

  • La présence d’un moine et d’un saint sur scène est l’occasion de blâmer le clergé qui n’est pas en reste en matière de péchés et de folie :

    Extrait p. 43 :

    Donc, fils de putains et larrons,
    Dont les actions sont édifiantes,
    Pourraient jouir de leur clergie
    Et se vautrer dans la luxure ?
    Rome accule un tiers de ses clercs
    A l’esclavage et la misère !

  • L’injustice faite au clerc est l’occasion de vilipender la justice : « Si vous voulez qu’ils vous défendent, De votre argent devrez vous fendre. »
  • Le Dervé occupe ensuite le devant de la scène : mise en scène de la folie que les autres personnages, devenus spectateurs, contemplent avec joie : « Mon Dieu, comme il me plaît d’entendre cet abruti dire ses sornettes ! » De même que les habitants d’Arras ont du prendre plaisir à voir jouer cette pièce qui les met en scène. En quoi consiste cette folie ? Elle est d’abord dans le langage, comme le moine le souligne dans cette réplique, mais elle est aussi dans la gestuelle du corps qui est un élément déterminant de cette dramaturgie de la démence : « Regardez comme il tremble du chef, son corps n’est jamais en repos. » (p. 49) La mise en scène de Jacques Rebotier met bien en valeur cet aspect physique de la folie : les acteurs courent et bougent de façon remarquable sur la scène.
  • Riquier reproche au moine sa présence : à cause de lui les fées tardent à venir. Lorsque enfin les trois fées apparaissent, le spectateur assiste à une variation sur le thème de l’enchantement. Dans la mise de Jacques Rebotier au théâtre du Vieux-Colombier, l’enchantement est total :

    Jeu d’ombre et de lumière, est-ce rêve ou réalité ? L’on voit une nappe tendue en travers de la scène, rideau magique et féerique sur lequel l’ombre d’une main pose trois couverts. Mais il manque un coutel !

  • La scène de la taverne :

    De nombreuses pièces de l’époque médiévale présentent la taverne comme un lieu de perdition, où on se révèle dans sa misère. C’est aussi le lieu ou le destin apparaît, sorte de philosophie amère de la vie.

  • Retour du Dervé : sa folie envahit l’espace scénique. La pièce s’achève sur une confrontation entre le moine, le Dervé et son père. Le moine décide de partir, comme Adam au début de la pièce !