Fondatrice de ce site et auteur de la majorité des articles mis en ligne.
Professeur agrégée et docteur en philosophie.
Le 2003 par Valérie PEREZ
Le déroulement de la pièce
Le Jeu d’Adam ou Jeu de La Feuillée (1276) Traduit de l’ancien français (picard) par Jacques Darras (édition Le Cri/ In Hut)
Extrait (p. 13) :
Adam :
Savez-vous, Messieurs, pourquoi je change d’habit ?
J’avais épouse hier, et clerc me revoici.
Je nourrissais depuis bien longtemps le projet :
Mais d’abord j’ai voulu de vous prendre congé.
Extrait (p. 17-19) :
Mais l’Amour flatte si fort les gens
Que toutes les grâces d’une femme
Il illumine, la fait si grande
Que l’on croirait d’une truande
Que ce fût une princesse de sang.
Ses cheveux d’or semblaient luisants,
Fermes et souples et chatoyants ;
Ils sont tombés, ils pendent tout noirs,
En elle tout me semble changé :
Son front par le compas tracé,
Blanc, lisse, large, bien fenêtré,
Est tout étroit et tout ridé.
Elle semblait avoir les sourcils
Arqués, subtils, bien dessinés,
D’un poil qu’on eût dit au pinceau,
Pour rendre son regard plus beau ;
Ils sont épars, ils sont dressés,
Comme si en l’air ils s’envolaient.
(…)
Il est honnête que j’avoue
Avant de l’avoir engrossée
Plutôt que d’en payer le coût
Car ma faim est bien apaisée.
Cette tirade constitue un morceau de bravoure. L’articulation de ce portrait repose sur des conventions littéraires très précises. On ne peut rein en conclure de sérieux sur le plan autobiographique : ce qui importe c’est ce détournement comique du portrait amoureux de la littérature courtoise.
Extrait (p.23) :
Henri Père d’Adam :
Mon pauvre garçon, comme je te plains
D’avoir gaspillé tout ton temps
Pour une femme ! Tu as gâché
Ta vie : la sagesse c’est va-t’en !
Guillot le petit :
Allez, donnez-lui de l’argent !
Car ça n’est pas gratuit, Paris.
Henri :
J’ai mal ! Je souffre ! D’où le tirer ?
Je n’ai à moi que vingt-neuf livres !
Hane le mercier :
Par le cul Dieu, êtes-vous ivre ?
Henri :
Non non je n’ai pas bu de vin.
Les sous ne m’ont pas rendu soûl.
Mais ce salaud me les soutire !
Adam :
Je ne suis pas dans le caca !
Comment chierai-je donc aux écoles ?
Henri :
Aide-toi, mon fils, le chiel t’aidera.
Tu es habile, tu es costaud.
Moi je ne suis qu’un vieux quinteux,
Maître en toutes toux, rhumes et crachats.
Le médecin :
Foi de mon foie, cher Maître Henri,
Je connais bien la maladie,
Elle se nomme avarice.
Si vous voulez que je guérisse,
Confiez-vous tranquillement à moi.
Je suis très bien achalandé,
J’ai des patients de tous côtés,
Que je guérirai de ce mal ;
J’en ai notamment dans cette ville,
En comptant bien, plus de deux mille,
Qui n’ont répit ni réconfort.
Il y a Halois, près de la mort,
Il y a aussi Robert Cosel,
Il y a le bec-de-lièvre Faverel.
Toute leur famille est au même point.
C’est le moine qui l’introduit : « Messieurs, Messieurs, faites la place à Monseigneur de saint Acaire. » (p. 35) Comme il guérit de la folie, c’est Wallet le plus fou de tous (« Des fous vous êtes l’empireur ») qui s’adresse à lui en ces termes : « Chiure saint Acaire que Dieu chia prends moi dans ta purée de pois, je suis un fou de profechion ». Le dervé, autre fou de renom, le suit de près sur cette scène des fous.
Extrait p. 43 :
Donc, fils de putains et larrons,
Dont les actions sont édifiantes,
Pourraient jouir de leur clergie
Et se vautrer dans la luxure ?
Rome accule un tiers de ses clercs
A l’esclavage et la misère !
Jeu d’ombre et de lumière, est-ce rêve ou réalité ? L’on voit une nappe tendue en travers de la scène, rideau magique et féerique sur lequel l’ombre d’une main pose trois couverts. Mais il manque un coutel !
De nombreuses pièces de l’époque médiévale présentent la taverne comme un lieu de perdition, où on se révèle dans sa misère. C’est aussi le lieu ou le destin apparaît, sorte de philosophie amère de la vie.