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A propos de l'auteur

  • Gladys Sempiana

    Je suis née le 27 avril 1992, je suis actuellement étudiante en 1ère année de Master MEEF (enseignement, éducation et formation) à l’université de La Rochelle.

Accueil || Licence de Lettres || Stylistique du texte classique || Le jeu de l’amour et du hasard de Marivaux

Le jeu de l’amour et du hasard est une pièce de Marivaux écrite au 18ème siècle. Il reprend des personnages issus de la Comedia del Arte comme Arlequin ou Sylvia. Sa pièce bouleverse l’ordre établit puisque les valets deviennent les maîtres et les maîtres les valets. Anne-Marie Garagnon a effectué une étude stylistique de l’incipit de la pièce, nous allons résumer le premier point intitulé la galerie des mauvais maris dans une première partie. Dans notre deuxième partie, nous étudions une scène clé de la pièce : la scène 9 de l’acte II. Sylvia et Dorante se rencontrent pour la deuxième fois, ils ne s’étaient pas vus depuis la scène 7 de l’acte I. Ils ne connaissent toujours pas la véritable identité de l’autre, cette scène est donc marquée par un jeu entre mauvaise foi et sincérité. En quoi la dualité entre les personnages est-elle théâtralisée ?

I) Résumé du point 1 de l’article d’Anne Marie Garagnon

Dans cet article, Anne Marie Garagnon étudie d’un point de vue stylistique la scène d’exposition du Jeu de L’Amour et du Hasard de Marivaux. Pour cela, elle s’appuie sur trois aspects distincts : dans un premier temps elle s’attache à analyser la galerie des mauvais maris puis examine le « portrait caractère » et aboutit à l’étude de la dramatisation d’un Argumentaire.
Nous allons plus précisément nous intéressé à l’étude du premier point de cet article. Les verbes, les adjectifs et les négations utilisés dénoncent les hommes qui se cachent derrière un masque, ils portent un déguisement pour mieux tromper les femmes et les observateurs. La personnalité qu’ils nous montrent n’est qu’une illusion. L’auteur montre l’incertitude de nos perceptions, ce que l’on voit n’est pas ce qui est. Anne Marie Garagnon met ainsi en évidence que « la vision matrimoniale » ne change pas selon les portraits proposés des personnages. En effet, le couple est toujours composé d’un personnage masculin et d’un personnage féminin tout deux plongés dans « l’impossibilité » d’accéder à la « vérité de l’autre ».
Trois portraits d’hommes connus sont ensuite dressés : celui d’Ergaste, de Léandre et de Tersandre. Le portrait d’Ergaste est fait au discours direct, pour montrer que tout le monde (incarné par le « on » anonyme) se laisse tromper par sa physionomie et que personne ne connait sa vraie nature. Le portrait de Léandre est amplifié, de nombreux adjectifs qualifient, paradoxalement, cet homme vide. Le double récit caractérise le portrait de Tersandre : Sylvia a été témoin de la vraie personnalité de celui-ci, son portrait est donc récité de manière différente, plus personnelle, mais il est tout aussi accablant. En cela le personnage de Tersandre s’oppose à ceux de Léandre et Ergaste qui eux semblent ancrés dans « la quasi-instantanéité ».
Pour finir, Anne Marie Garagnon aborde les problèmes de point de vue qui oppose le je témoin et le je protagoniste. Sylvia incarne dans cette ces deux formes : elle est un « je » témoin quand elle expose les portraits d’Ergaste et de Léandre et un « je » protagoniste quand elle présente le portrait de Tersandre puisque c’est une scène qu’elle a vécue.
Même si Sylvia parle de personnes différentes, les hommes sont tous semblables : une fois mariés, ils enlèvent leur masque et leur femme se rendent compte de la vraie personnalité de leur mari.

II) Extrait

DORANTE:Lisette,quelque éloignement que tu aies pour moi,je suis forcé de te parler ; je crois que j’ai à me plaindre de toi.

SILVIA:Bourguignon, ne nous tutoyons plus,je t’en prie.

SILVIA:Tu n’en fait pourtant rien.

DORANTE:Ni toi non plus ;tu me dis:je t’en prie.

SILVIA : C’est que cela m’est échappé.

DORANTE:Eh bien,crois moi, parlons comme nous pourrons ;ce n’est pas la peine de nous gêner pour le peu de temps que nous avons à nous voir.

SILVIA : Est-ce que ton maître s’en va ? Il n’y aurait pas grande perte.

DORANTE:Ni à moi non plus, n’est-il pas vrai ? J’achève ta pensée.

SILVIA:Je ne l’achèverais bien moi-même, si j’en avais envie ; mais je ne songe pas à toi.

DORANTE:Et moi,je ne te perds point de vue.

SILVIA : Tiens, Bourguignon,une bonne fois pour toutes,demeure, va t’en,reviens, tout cela doit m’être indifférent, et me l’est en effet ;je ne te veux ni bien ni mal je ne te hais, ni ne t’aime, ni ne t’aimerai, à moins que l’esprit ne me tourne. Voilà mes dispositions, ma raison ne me permet point d’autres,et je devrais me dispenser de te le dire.

DORANTE:Mon malheur est inconcevable. Tu m’ôtes peut être tout le repos de ma vie.

SILVIA:Quelle fantaisie il s’est allé mettre dans l’esprit ! Il me fait de la peine. C’est beaucoup,c’est trop même ;tu peux m’en croire,et,si tu était instruit,en vérité,tu serait content de moi, tu me trouverais d’une bonté sans exemple,d’une bonté que je blâmerais dans une autre. Je ne me la reproche pourtant pas ; le fond de mon cœur me rassure, ce que je f ais est louable. C’est par générosité que je te parle ;mais il ne faut pas que cela dure ;ces générosités là ne sont bonnes qu’en passant,et je ne suis pas faite pour me rassurer toujours sur l’innocence de mes intentions ; à la fin, cela ne ressemblerait plus à rien. Ainsi, finissons, Bourguignon ;finissons, je t’en prie. Qu’est-ce que cela signifie ? C’est se moquer ;allons,qu’il n’en soit plus parlé.

DORANTE:Ah ! ma chère Lisette,que je souffre !

SILVIA : Venons à ce que tu voulais me dire. Tu te plaignais de moi,quand tu es rentré ;de quoi était-il question ?

DORANTE:De rien,d’une bagatelle ;j’avais envie de te voir,et je crois que je n’ai pris qu’un prétexte.

SILVIA:Que dire à cela ? Quand je m’en fâcherais,il n’en serais ni plus ni moins.
DORANTE:Ta maîtresse, en partant,a paru m’accuser de t’avoir parlé au désavantage de mon maître.

SILVIA : Elle se l’imagine, et si elle t’en parle encore, tu peux le nier hardiment ;je me charge du reste.

DORANTE:Eh ! Ce n’est pas cela qui m’occupe.

SILVIA:Si tu n’as que cela à me dire,nous n’avons plus que faire ensemble.
DORANTE:Laisse-moi du moins le plaisir de te voir.
SILVIA:Le beau motif qu’il me fournit là ! J’amuserai la passion de Bourguignon ! Le souvenir de tout ceci me fera bien rire un jour.
DORANTE:Tu me railles,tu as raison ;je ne sais ce que je dis,ni ce que je te demande. Adieu.
SILVIA:Adieu, tu prends le bon parti... Mais, à propos de tes adieux, il me reste encore une chose à savoir. Vous partez, m’as tu dit, cela est-il sérieux ?
DORANTE:Pour moi, il faut que je parte ou la tête me tourne.
SILVIA:Je ne t’arrêterais pas pour cette réponse-là,par exemple.
DORANTE:Et je n’ai fait qu’une faute ;c’est de n’être pas parti dès que je t’ai vue.
SILVIA,à part:J’ai besoin à tout moment d’oublier que je l’écoute.
DORANTE:Si tu savais,Lisette, l’état ou je me trouve...
SILVIA:Oh ! Il n’est pas si curieux à savoir que le mien, je t’en assure.
DORANTE:Que peux tu me reprocher ? Je ne me propose pas de te rendre sensible.
SILVIA,à part : Il ne faudrai pas s’y fier.
DORANTE:Et que pourrais-je espérer en tachant de me faire aimer ? Hélas ! quand même je possèderais ton cœur...
SILVIA:Quel le ciel m’en preserve ! Quand tu le posséderais,tu ne le saurais pas ;et je ferais si bien que je ne le saurez pas moi-même. Tenez, quelle idée il lui vient là !
DORANTE:Il est donc bien vrai que tu ne me hais,ni ne m’aimes,ni ne m’aimeras ?
SILVIA:Sans difficulté.
DORANTE:Sans difficulté ! Qu’ai-je donc de si affreux ?
SILVIA:Rien ; ce n’est pas là ce qui te nuit.
DORANTE:Eh bien ! ma chère Lisette,dis le moi cent fois,que tu ne m’aimeras point.
SILVIA:Oh ! Je te l’ai assez dit, tâche de me croire.
DORANTE:Il faut que je le croie ! Désespère une passion dangereuse,sauve moi des effets que j’en crains ;tu ne me hais, ni ne m’aimes, ni ne m’aimeras ;accable mon cœur de cette certitude là ! J’agis de bonne foi,donne moi du secours contre moi-même ;il m’est nécessaire ; je te le demande à genoux. (Il se jette à genoux. Dans ce moment, M Orgon et Mario entrent et ne disent mot.)

III) Commentaire

1ère partie : Deux protagonistes en constante opposition

a) Deux discours différents
Tout d’abords, on peut noter la différence de discours entre les deux personnages principaux de la pièce. A la lecture de cette scène on est immédiatement frappé par la différence de tonalité. En effet, on remarque que Dorante se situe dans un registre pathétique, on retrouve d’ailleurs des lamentations comme « Ah ! Ma chère Lisette que je souffre ! ». Il semble même tomber dans l’absurde lorsqu’il dit « qu’ai-je donc de si affreux ? » puisqu’il ne comprend pas le rejet de Sylvia, on a ici alors un effet comique avec la participation du spectateur qui sait que tout n’est que faux semblants. On remarque d’ailleurs l’utilisation de l’intensif « si » qui crée un effet d’insistance et montre le pathos du personnage. Sylvia quant à elle se situe dans un registre ironique, elle raille sans cesse Dorante en se mettant a distance avec ce dernier par l’utilisation de la troisième personne du singulier « Le beau motif qu’il me fournit là ! ». Elle semble même faire preuve d’orgueil puisqu’on a l’impression qu’elle considère Dorante comme n’étant pas à son niveau « J’amuserai la passion de Bourguignon ! Le souvenir de tout ceci me fera bien rire un jour ».
On peut aussi observer que Sylvia domine le discours tout au long de la scène, elle compte 21 répliques et Dorante 20 On remarque les répliques de Sylvia sont les plus longues. Sa domination se fait sentir par le fait que lorsqu’elle pose une question elle y répond « Qu’est-ce que cela signifie ? C’est ce moquer, allons, qu’il n’en soit plus parlé. », « Que dire à cela ? Quand je m’en fâcherais, il n’en serait ni plus ni moins ». Ce qui n’est pas du tout le cas de Dorante. C’est elle qui mène la conversation, on note d’ailleurs qu’elle semble donner des ordres « qu’il n’en soit plus parlé », « je me charge du reste ». Sa domination se remarque également par la rapidité du discours, On note la prolifération de virgules et de points virgules dans les répliques de Sylvia qui donne une impression d’accumulation, on note aussi la présence de beaucoup de phrases exclamatives la plupart prononcées par Sylvia. L’enchevêtrement des répliques longues et courtes marque une rapidité du discours puisque les différents segments des longues répliques de Sylvia créent une accélération du rythme tout comme les répliques plus courtes des deux personnages.
On a alors clairement une opposition entre les personnages qui se dessine, on retrouve d’un côté la domination et la dureté de Sylvia et de l’autre la sensibilité de Dorante.

b) Le lyrisme de Dorante face à la dureté de Sylvia
Les deux discours qui structurent notre extrait font apparaitre une différence fondamentale entre les deux personnages principaux de l’œuvre.
On remarque tout d’abord que le discours de Dorante est un discours lyrique. En effet, on observe l’emploi de la première personne du singulier avec le pronom « je », sa forme tonique « moi » et la forme « me » que l’on retrouve dans toutes les répliques de celui-ci. On peut également noter la ponctuation combinée à l’utilisation d’apostrophes qui accentuent l’impression de lamentation « Ah ! », « Hélas ! », « Eh bien ! ». De plus on remarque l’isotopie de la souffrance « je souffre », « plaindre », « malheur », « m’ôte.. le repos de ma vie », « la tête me tourne », « sauve moi des effets que j’en crains » qui souligne l’expression de l’amour de Dorante pour Sylvia.
La dureté du discours de Silvia est totalement opposée à l’expression des sentiments de Dorante. Celle-ci semble confuse sur ce qu’elle ressent et préfère alors prendre ses distances. On remarque l’utilisation de l’impératif « finissons » qu’elle répète d’ailleurs deux fois dans la même phrase, cela montre qu’elle tente de rejeter Dorante. On note aussi les épanorthoses : « c’est beaucoup, c’est trop même » et « tout cela doit m’être indifférent et me l’est en effet » qui marquent le rejet et l’indifférence de Sylvia face à Dorante tout comme le refus de tutoiement « ne nous tutoyons plus ». On peut aussi observer un rythme bref et tranché chez Sylvia avec la multiplication de virgules et de points virgules caractérisant une certaine dureté. On remarque aussi que Sylvia pousse ses propos jusqu’à la raillerie « le beau motif qu’il me fournit là ! J’amuserai la passion de Bourguignon ! Le souvenir de tout ceci me fera bien rire un jour ! ». On a ici un rythme ternaire à cadence majeur marqué par des points d’exclamation. Ce rythme met en évidence l’ironie, la moquerie de Sylvia envers Dorante. La dureté de Sylvia semble être remise en question dans le texte notamment avec le rythme ternaire « demeure, va-t’en, revient » qui est composée de trois segments qui s’opposent ce qui peut traduire la confusion des sentiments de celle-ci. On retrouve d’ailleurs cette impression avec la phrase « je t’en prie » que Sylvia reprend deux fois.

c) Les négations

33 expressions de la négation dans le texte. Certaines phrases négatives témoignent de la constante opposition entre les personnages : à la négation totale de Silvia « mais je ne songe pas à toi » Dorante répond « et moi je ne te perds point de vue ». En réalité (et comme nous l’expliquerons plus longuement après) ce que dit Silvia n’est pas la vérité, mais seul le spectateur le sait. Egalement dans la négation totale « Je ne me propose pas de te rendre sensible », Dorante se ment à lui-même et ment à Silvia, le public sait pertinemment qu’il cache ses véritables sentiments. Dans les répliques « Tu n’en fais pourtant rien - Ni toi non plus » / « Il n’y aurait pas grande perte – Ni à moi non plus » les négations de Dorante s’ajoutent à celles de Silvia, (on remarque un parallélisme de construction dans les répliques de Dorante) comme s’il voulait toujours être en accord avec elle -> paradoxe : construction négative mais sens affirmatif. L’usage du forclusif « plus » dans « ne nous tutoyons plus », « qu’il n’en soit plus parlé », « nous n’avons plus que faire ensemble » renforce l’autorité de Silvia, c’est elle qui donne les ordres. La négation restrictive « Et je n’ai fait qu’une faute » marque le désarroi de Dorante qui pense aimer une servante. La négation « je ne sais ce que je dis, ni ce que je te demande » renforcée par la conjonction de coordination « ni » indique que Dorante est troublé, désorienté, il a un double jeu à jouer (théâtre dans le théâtre) et s’emmêle dans ses rôles. De même pour Silvia, lorsqu’elle prononce la fameuse phrase « je ne te veux ni bien ni mal je ne te hais, ni ne t’aime, ni ne t’aimerai ». Présence de 4 conjonctions de coordination « ni », champ lexical de l’amour et de la haine, Silvia ne sait pas ce qu’elle veut ni ce qu’elle ressent, du moins c’est ce qu’elle veut croire et c’est ce qu’elle veut faire croire à Dorante, mais le public n’est pas dupe. Ce qui nous amène à évoquer la théâtralisation de la scène.

2ème partie:Une scène théâtralisée

a) Temporalité et modalisation
On peut parler ici de mise en abyme ou de théâtre dans le théâtre. En effet, les acteurs jouent le rôle de Silvia et de Dorante, qui eux-mêmes jouent le rôle de Lisette et de Bourguignon. Les modalités renforcent cet aspect et traduisent les volontés sous-jacentes des personnages. Par exemple, la modalité jussive « ne nous tutoyons plus » immédiatement suivie par la modalité optative « je t’en prie » indique les émotions contradictoires de Silvia : elle donne un ordre à Bourguignon qu’elle veut s’obliger à suivre (car utilisation du pronom « nous ») mais elle souffre de cet ordre (utilisation du pronom tonique « t’ »). La modalité jussive « tâche de me croire » à la fin de la scène est très intéressante : le verbe « tâcher de » signifie tenter, essayer de faire quelque chose, on ne néglige pas la possibilité d’échouer. Ainsi Silvia signifie à Dorante qu’il n’est pas obligé de la croire car elle-même ne se croit pas. La modalité jussive « finissons » est répétée deux fois dans la même phrase à l’impératif et est encore suivie par la modalité optative « je t’en prie », cela désigne la continuité de la souffrance de Silvia face à ses sentiments. Contrairement à Dorante qui ne cache pas ses sentiments comme avec la modalité optative « j’avais envie de te voir », Silvia garde son masque de dureté pour ne rien révéler. Beaucoup de conditionnel dans les répliques, il exprime tantôt le résultat d’une condition « si tu étais instruit, en vérité, tu serais content de moi », tantôt un souhait (uniquement chez Dorante) « quand même je posséderais ton cœur » ou bien il exprime l’irréel du présent chez Sylvia comme « quand tu le posséderais, tu ne le saurais pas ; et je ferais si bien que je ne le saurais pas moi-même ». Paradoxe ici, ce que dit Silvia est en fait l’entière vérité mais seul le public le sait. Egalement de nombreux subjonctifs qui insistent sur les éventualités des actions comme dans la modalité jussive « qu’il n’en soit plus parlé » (or les personnages continuent à parler de leurs sentiments). L’emploi des différentes modalités, du conditionnel, du subjonctif et de l’impératif renforcent la notion d’incertitude, à part le spectateur les protagonistes ne décèlent pas le rôle joué par l’autre.

b) L’art du sous-entendu
L’extrait joue sur le rapport entre la réalité et les apparences. Tout est à double sens et peut être pris différemment selon les personnes qui reçoivent le discours. D’abord, on retrouve ce jeu à travers les apartés de Silvia, indiquées à deux reprises par la didascalie « à part ». Par exemple la modalité optative « j’ai besoin à tout moment d’oublier que je l’écoute » révèle l’amour de Silvia pour Dorante alors qu’elle ne cesse de lui cacher ses sentiments. L’aparté « il ne faudrait pas s’y fier » est la clé de lecture du passage : les mots sont trompeurs et peuvent avoir plusieurs sens à qui veut bien les déchiffrer. C’est ainsi que le spectateur se trouve supérieur aux personnages car il est capable de trouver le sens caché des phrases. Les personnages sont d’autant plus tournés en ridicule qu’ils ne savent pas ce qu’ils disent : Silvia lance à Dorante « si tu étais instruit » en pensant qu’il n’est qu’un valet ou bien Dorante parle à Silvia de sa « maîtresse » alors qu’elle n’en a pas. La négation « ce n’est pas là ce qui te nuit » est une révélation : Silvia avoue enfin être sous le charme de Dorante mais le verbe dépréciatif « nuire » indique que la condition sociale est plus importante que les qualités physiques ou morales. Là où les personnages voient un amour impossible, le spectateur s’amuse de leur naïveté. De même, l’aparté « J’amuserai la passion de Bourguignon ! Le souvenir de tout ceci me fera bien rire un jour » est double : « tout ceci » a deux significations différentes, une pour Silvia qui pense qu’un valet est amoureux d’elle et une pour le spectateur qui rit de la méconnaissance de Silvia car il est au courant des déguisements. Marivaux continue dans l’ambiguïté en utilisant les différents sens qu’un mot peut avoir. L’exemple le plus flagrant se situe dans cette réplique : « Si tu savais, Lisette l’état où je me trouve… - « Oh ! il n’est pas si curieux à savoir que le mien ». Ici, « état » a deux sens : il peut référer à l’émotion et au désarroi de Dorante, mais aussi à son déguisement, Dorante essayant d’avouer à Silvia qu’il n’est pas un valet. De même pour la réponse de Silvia : le pronom possessif « le mien » indique l’émotion du personnage et est également un demi-aveu : Silvia n’est pas non plus une servante. La vérité n’est pas toujours ce que l’on croit, et si quelqu’un l’a bien compris ici, c’est le spectateur.

c) Le comique de répétition
Cette scène est caractérisée par le comique de répétition. En effet on note dans un premier temps un grand nombre de redondances. On remarque que la modalité incarnée par le verbe « croire » est utilisé par les deux protagonistes à de nombreuses reprises, on note en tout 5 occurrences. Celles-ci traduisent les apparences trompeuses qui relient les personnages. On note aussi la reprise de la phrase « je t’en prie » que l’on retrouve trois fois et qui donne l’impression d’insistance sur la supplication des personnages. On remarque l’epizeuxe (répétition d’un mot sans conjonction de coordination) sur le mot « adieu » qui est ensuite repris au pluriel dans la phrase suivante. Ces différentes redondances marquent le comique puisque l’insistance montre qu’on assiste ici à du théâtre dans le théâtre. En effet, Dorante et Sylvia jouent et cela se remarque. On observe la répétition de beaucoup d’occurrences comme explicité auparavant et notamment celle faite sur le groupe « sans difficulté » repris à la phrase suivante sur le mode exclamatif qui montre ici le côté sur joué du passage. On peut également voir des passages qui semblent être directement adressé aux spectateurs mais qui ne sont pas signaler comme apartés « Tenez, quelle idée lui vient là ! », on remarque d’ailleurs l’utilisation de la deuxième personne du pluriel qui n’est nullement justifiée puisqu’il s’agit d’un dialogue entre les deux protagonistes. Cette phrase est au mode exclamatif dans le texte alors qu’on l’attendrait plutôt au mode interrogatif. Ceci nous montre qu’il s’agit ici d’un jeu. On remarque l’importance accordée aux apparences avec notamment le pathétique que nous suggère le discours lyrique de Dorante qui semble exagéré « Désespère une passion dangereuse, sauve moi des effets que j’en crains, tu ne me hais, ni ne m’aimes, ni ne m’aimeras ; accable mon cœur de cette certitude-là ». On remarque ici la nouvelle reprise du rythme ternaire « tu ne me hais, ni ne m’aimes, ni ne m’aimeras » déjà repris une fois par Dorante qui montre l’insistance et l’exagération de ces sentiments. On a alors ici du théâtre dans le théâtre qui souligne le comique de la scène.

Conclusion :
On se trouve ici dans une mise abîme : les acteurs jouent le rôle de Dorante et de Sylvia qui eux mêmes jouent le rôle de Bourguignon et de Lisette. Leur but est de découvrir la véritable personnalité de l’autre et de voir s’ils sont capables de faire abstraction de leurs statuts et des apparences.

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  • Je n’ai même pas voulu lire la moitié de l’intro

    2 juillet 2013, par Un scientifique qui veille

    Pour un site nommé serieslitteraires.org
    Ecrire "nous allons nous interessé" est abusif.
    Ras le bol d’erreurs pareilles !
    Merci.
    Au revoir.