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A propos de l'auteur

  • Tiphaine Dauchez

    Professeur des écoles stagiaire (PE2)
    IUFM du Pacifique
    Polynésie française

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LE LOUP MON OEIL !

de Susan Meddaugh aux éditions Autrement jeunesse

PRESENTATION

Le loup, mon œil ! est un album de Susan Meddaugh, auteur-illustrateur américain, publié initialement en langue anglaise sous le titre Hog-eye (œil de cochon) et depuis 1998 par les éditions Autrement dans la collection Autrement jeunesse. Il y est question d’une petite truie qui, pour se justifier d’avoir fait l’école buissonnière, raconte à sa famille sa capture, dans la forêt, par un loup qui aurait voulu la manger et aurait consenti à lui rendre sa liberté contre la promesse de cette dernière de rompre le sortilège infligé.

J’ai choisi cet album d’abord pour son titre qui m’a interpellé, sa fraîcheur, mais surtout pour l’humour qui se dégage de ses illustrations.

Cet album, figure depuis 2004 dans la liste de référence des œuvres de littérature de jeunesse pour le cycle 3. Il s’agit, en effet, d’un ouvrage original qui pose de façon très précise la difficulté de la lecture de certains albums puisqu’il demande des stratégies de lecture très particulières : lire un texte, lire des images, confronter les deux afin de reconstruire les significations masquées. Les thèmes abordés se réfèrent également aux préoccupations des élèves de cycle 3. Cet ouvrage a donc bien sa place en cycle 3 que ce soit en CE2, CM1 ou CM2. Toutefois, au regard de la naïveté des illustrations et des personnages mis en scène (cochons et loup), je proposerai plutôt une exploitation en classe de CE2.

L’extrait choisi se situe au moment où le loup qui vient d’attraper la petite truie, la rapporte chez lui pour la faire cuire.

Lorsque nous sommes arrivés dans sa cave sombre et terrifiante,
le loup a posé une grande marmite sur le poêle, tout en chantant
une chanson.

Cochon dans l’eau,
L’eau dans le pot.
Soupe pour le loup,
Dès que l’eau bout !

Pour gagner du temps, j’ai dit : « Ce n’est pas comme ça que MA
maman prépare la soupe. Elle SORT, et elle rapporte
BEAUCOUP de légumes et d’herbes. Sa soupe est la meilleure. »
« C’est pas vrai ! a dit le loup. C’est ma maman A MOI qui préparait
la meilleure soupe. Voilà son livre de cuisine, tu n’as qu’à regarder
toi-même ! ». Le loup a pris un livre poussiéreux sur une étagère.
« Voilà, voilà, a-t-il dit. Cherche la recette de ma maman et lis-la moi ! »

Notre fille ! Elle aide un loup à faire la soupe !...

Alors, à ce moment-là, j’ai compris quelque chose de très intéressant.
« Tu ne sais pas lire, c’est dommage ! » ai-je dit.
« Mais bien sûr que si, je sais lire ! a-t-il répondu, furieux. Je n’ai tout
simplement pas envie de lire aujourd’hui. C’est toi qui lis ».

ANALYSE

Si j’ai choisi de vous présenter cet extrait c’est parce qu’il illustre précisément ce qui caractérise l’album en général : l’articulation texte/image et ce qui fait l’originalité et la richesse pédagogique de cet album en particulier : le décalage entre le texte et les illustrations et l’intertextualité possible avec ici les allusions au Trois Petits Cochons et à La Petite Poule Rousse.
Ce décalage va créer l’humour, très présent dans cet ouvrage, il va mettre en valeur la notion de point de vue et va permettre de définir la personnalité de l’héroïne, petit personnage rusé qu’il sera intéressant de mettre en relation avec d’autres personnage du même type à travers l’intertextualité.

L’humour est une caractéristique des albums. Toutefois, les jeunes lecteurs ne sont pas tous égaux devant la compréhension de l’humour qui suppose, pour être apprécié, une lecture correcte de l’image avant même de la percevoir comme drôle c’est-à-dire la compréhension de la situation stéréotypée ordinaire pour rire de son décalage.
L’apprentissage de l’humour à l’école, et notamment avec cet album, sera l’occasion d’exercer son imaginaire créatif dans l’interprétation des images, de prendre de la distance par rapport aux situations et de construire des pratiques variées en jouant avec les mots.
Ici, l’humour est crée par :

Les illustrations en elles-mêmes :

  • Les cochons sont stéréotypés : ronds, roses, il s’agit d’une famille nombreuse, leurs expressions sont humoristiques.
  • Le loup apparaît tout d’abord menaçant, notamment sur la 4ème de couverture, puis au fil des pages de plus en plus mal en point et finalement suppliant.

    L’opposition entre ce que raconte la petite truie et ce que dit l’image :

  • Lorsque nous sommes arrivés dans sa cave sombre et terrifiante : l’illustration montre un intérieur plutôt coquet.
  • J’ai même exigé des excuses convenables : l’illustration montre le loup la jetant dehors sans
    ménagement. .

    L’opposition entre ce que raconte le loup et ce que dit l’image :

  • Le loup qui affirme savoir lire alors que l’image le montre tenant ce qu’il croit être un livre de cuisine à l’envers. Le titre de ce livre indique « De E à Z. Comment réparer sa voiture ».

    Les commentaires de la famille, auditrice et spectatrice de ce curieux récit à travers les parents et enfants apparaissent d’abord comme inquiets, moralisateurs, puis surpris mais intéressés et enfin sceptique et décontenancés :

  • Tu as fait quoi ?! Elle n’écoute jamais… On ne se lasse pas de lui dire : ne vas pas dans le bois toute seule, c’est dangereux ! Et qu’est-ce qu’elle fait ? Elle va dans le bois toute seule !...
  • Notre fille ! Elle aide un loup à faire la soupe !...

    Des jeux de mots, des expressions et des rimes :

  • Les panneaux de signalisation indiquant « chabourg », « porcinetville », « forêt du loup », les expressions « une tête de cochon, voilà ce qu’elle est », « aujourd’hui, j’ai battu mon frère à plate couture », des rimes du chant du loup et de la formule magique,.

    Le point de vue : Ici, la narratrice est interne, elle fait partie de l’histoire en tant que personnage : il s’agit de la petite truie. L’histoire est donc racontée du point de vue de la petite truie uniquement. A travers son récit, illustré par de grandes images sur fond coloré généralement situées en haut de page, elle s’adresse directement au lecteur. Comme toute personne qui cherche à se faire valoir, elle exagère tout et cela se manifeste à travers les illustrations qui se succèdent à la manière d’un film ou d’un dessin animé mais également à travers le texte pour créer encore une fois l’humour.

  • La petite truie s’exprime avec emphase, grandiloquence en employant beaucoup de superlatifs : « les enfants sont insupportables. Mon grand frère, qui devrait normalement me défendre est le pire de tous », « sa soupe est la meilleure », « Plus il grattait, plus ça le démangeait, et plus ça le démangeait, plus il grattait… ».
  • Sur la dernière page, elle raconte son aventure à ses camarades en exagérant encore des faits : « plein de loups à gauches et plein de loup à droite… ».

    Le rôle des illustrations et des textes enchâssés dans le récit, dans des bulles, à la manière des bandes dessinées est à ce titre essentiel. En effet, ils vont permettre de développer d’autres interprétations possibles, de connaître d’autres points de vue, notamment, ceux des membres de la famille. La différence de typographie (texte de type classique et bulles) va aider à comprendre les différents points de vue.

    La ruse

    Le caractère rusé de l’héroïne va se révéler à travers sa lecture de la recette de soupe. Là encore, les illustrations jouent un rôle important, elles servent à mettre en valeur la ruse de la petite truie qui réalise que le loup ne sait pas lire. Le texte a aussi son importance puisqu’il souligne l’intelligence de la petite truie qui sait abuser de la bienveillance et de la confiance de ses parents et de la naïveté du loup en adaptant son récit à son auditoire.

    EXPLOITATIONS PEDAGOGIQUES

    A travers un travail de lecture d’image, d’interprétation implicite des illustrations, l’objectif sera d’éveiller l’analyse visuelle et critique des élèves et de développer l’autonomie du lecteur.

    1. Travail sur les personnages à partir du paratexte et émission d’hypothèses sur l’histoire en essayant de mettre ces personnages en réseau avec ceux rencontrés dans d’autres œuvres.

    2. Lecture à voix haute par l’enseignant puis proposition de travail sur le thème de la ruse à travers

    3. un questionnaire. Puis demander aux élèves de relever, dans le texte, ce qui révèle la ruse. Proposer
    une intertextualité avec d’autres petits personnages rusés.

    4. Travail autour de la notion de narrateur à travers des questions telles que : qui raconte l’histoire ? A qui ? Quand ?

    5. Travail sur la configuration texte/illustrations pour interpréter le sens de ce décalage et donc aborder le thème du mensonge.

    6. Débat interprétatif sur la véracité de l’histoire de la petite truie notamment par un retour sur le titre et sur la 4ème de couverture.

    7. Production d’écrit : demander aux élèves de raconter l’histoire du point de vue d’un autre personnage (ex : le loup). En partant de sa réflexion « ce cochon raconte des mensonges » .

    8. Travail sur la mise en voix de l’histoire collectivement en travaillant sur l’intonation, la gestuelle.
    • Les élèves volontaires s’entraîneront à oraliser l’histoire afin de la présenter devant les élèves des autres classes de CE2.
    • Les autres travailleront en arts plastiques sur la fabrication de marottes toutes simples représentant chaque personnage et les utiliseront pour oraliser l’histoire par petits groupes.

    CONCLUSION

    L’intérêt pédagogique de cet ouvrage est que ce qui est à comprendre n’est jamais exprimé explicitement et que c’est bien au lecteur, par le jeu entre la lecture du texte et celles des illustrations, qui se contredisent, de construire, et de reconstruire, à partir de tous les éléments relevés, des sens possibles à cette histoire.