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Montesquieu, Les Lettres persanes

La préparation suivante sera demandée aux élèves pour la troisième séance (Ces questions sont celles du manuel Des textes à l’œuvre chez Hachette) :

Dans quelle phrase la thèse du texte est-elle exprimée ? Reformulez-la de manière plus explicite. Classez et reformulez les arguments fournis par l’énonciateur pour convaincre le lecteur.

Le texte de Montesquieu, cette fois-ci lettre fictive qui révèle bien la prudence de l’auteur, met en évidence cette précaution qui paradoxalement expose une véhémente satire de la société qui se met elle-même en danger parce qu’elle ne fait pas preuve de « raison ».

La thèse de l’auteur est exprimée presque à la fin du texte : « … ce n’est point la multiplicité des religions qui a produit ces guerres (de religion), c’est l’esprit d’intolérance, qui animait celle qui se croyait la dominante… » On remarque la modalisation « se croyait » qui accuse ceux qui réclament une seule et unique religion d’état et « l’intolérance » en matière religieuse qui est le thème de cette lettre.

Les guerres de religion ne proviennent pas de la coexistence de plusieurs religions dans un même pays mais du refus impérieux de voir évoluer plusieurs pensées religieuses sur un même territoire et la décision arbitraire de posséder la seule et véridique religion qui doit s’imposer et voir disparaître toutes les autres.

Montesquieu utilise la prétérition avec « je ne sais pas, Mirza, s’il n’est pas bon que dans un état il y ait plusieurs religions » puisqu’il annonce qu’il se pose la question alors que tout le texte montre qu’il a bien réfléchi au problème et a même pris position par différents arguments. La thèse est déjà annoncée ici en feignant de ne pas prendre position mais il a bien posé au préalable que pour ce faire il faudrait « raisonner sans prévention » et les préjugés de cette société sont ainsi dénoncés.

Montesquieu utilise le masque des ses persans mais ces persans ont un double masque par leurs propos et toute la démarche argumentative avance à petits pas, avec précaution vers l’aveu ultime d’une position qui est dictée par les exemples précédents de l’histoire et un raisonnement inductif.

Même si les ministres de Chah Soliman dans la fiction de Montesquieu ont été tentés de chasser tous les « infidèles » de leur royaume, implicitement l’auteur leur accorde une sage décision de ne pas l’avoir fait par la voix d’Usbek, personnage important dans son pays et il attribue au « hasard » qui a décidé en lieu et place de « la raison et de la politique ». A partir donc de cette éventualité, le personnage imagine un scénario catastrophique avec « un péril plus grand que celui… de la perte d’une bataille et de la prise de deux villes ». Une telle décision ne peut que ruiner un état se privant de tous les « négociants », « artisans » qui représentent toute l’économie d’un pays, alors que l’état a déjà affaibli son agriculture en expulsant des infidèles qui étaient aussi des « laboureurs ». L’industrie était donc le dernier pan à éliminer pour faire disparaître totalement une société florissante.

Ensuite, Usbek se demande (faussement, comme nous l’avons déjà vu) si la solution n’est pas justement de conserver plusieurs religions pour maintenir la puissance d’un état et développe ses arguments. Son premier argument relève de l’observation d’un sociologue. Il ne prouve pas ses dires et s’impose comme spécialiste. Il utilise un « on » inclusif certes mais qui n’en reste pas moins très général pour remarquer que les « religions tolérées se rendent ordinairement plus utiles à leur patrie », faisant des effort pour « se distinguer par leur opulence et leur travail » d’où leur recherche d’un intégration autre que par la religion.

Le deuxième argument relève également de l’observation et de la généralité puisqu’Usbek avance que toutes « les religions contiennent des préceptes utiles à la Société ». Toutes les religions tentent de montrer leur intégrité et font preuve de précaution pour ne pas être déshonorées.
Ces deux arguments permettent à Usbek de recommander plusieurs religions qui permettent de « corriger tous les abus de l’ancienne » et nous comprenons, d’une part, qu’il présente une religion unique et dangereuse et, d’autre part, soit une éventualité, soit un état de fait dans ces « abus ». Il met également à l’abri le roi puisque toutes les religions prescrivent « l’obéissance » et la « soumission ». Donc, il annule ici une fausse peur ou un préjugé.

Ce dernier argument permet à Montesquieu d’énoncer cette fois-ci clairement sa thèse. Le dernier argument qui est annoncé par le connecteur « enfin » est énoncé plus clairement, sans détour avec un « je » qui s’affirme : « celui qui veut me faire changer de religion ne le fait sans doute que parce qu’il ne changerait pas la sienne… » Cet argument montre la mauvaise foi des persécuteurs et l’ineptie de voir évincer des religions différentes. Le texte se termine par une ironie qui renforce sa position : « il trouve donc étrange… »

Ce questionnement a permis de définir la stratégie argumentative particulière de Montesquieu. Le double masque est avancé dès le début du texte et un des deux masques tombe à la fin du texte pour non seulement ne plus douter d’une volonté nuisible pour tous et l’Etat lui-même mais pour mettre en évidence finalement une requête impossible à demander parce que tout simplement relevant de la pure mauvaise foi. Le début du texte a les apparences d’un conte philosophique avec tous ses éléments exotiques. Puis la prétérition permet de poser une problématique que Montesquieu résout avec des arguments à visée générale et sociologiques pour retourner une situation ; non seulement il ne faut pas chasser les « infidèles » ou les « hérétiques » mais ces derniers sont nécessaires pour le salut de l’Etat. La fin du texte semble dire : « soyons raisonnables ! » et la question difficile de la religion dans une monarchie absolue de droit divin devient presque un enfantillage qui est l’argument ultime et percutant : « Ne demandons pas aux autres ce qu’il nous est impossible de faire » ; pur conseil de raison mais surtout de bon sens…
Cette stratégie toute particulière et singulière permet d’aborder une seconde stratégie avec le texte de Jaucourt.