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A propos de l'auteur

  • Alexis PERCHE

    Étudiante en 2ème année de licence de Lettres modernes à l’université de La Rochelle.

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Alexis DE TOCQUEVILLE – De la démocratie en Amérique - Tome II, Première partie, Chapitre X « Pourquoi les américains s’attachent plutôt à la pratique des sciences qu’à la théorie » (pages 62 à 71).

Dans son ouvrage De la démocratie en Amérique, Tocqueville se présente comme l’observateur d’une société : la démocratie. Plus précisément dans ce chapitre, l’auteur s’attache à « contempler » et à analyser la pratique des sciences en Amérique et son évolution dans les sociétés démocratiques. En effet, si l’essor de l’esprit humain n’est pas arrêté par « les institutions démocratiques », il est néanmoins « limité » par elles, ce qui mène à un paradoxe : comment une institution favorisant la liberté pourrait-elle en même temps la limiter ?

La démocratie ne va pas sans risque, et si la société donne le même statut à tous les individus, ce principe d’égalité pousse la société à évoluer vers l’individualisme. En prenant l’exemple de la pratique des sciences, Tocqueville affirme que « l’égalité pousse dans chaque homme le désir de juger tout par lui-même ». D’où le constat suivant : en Amérique les sciences privilégient la pratique et s’éloignent de la théorie. Pourquoi ? Sans doute la pratique des sciences favorise-t-elle la liberté et la démocratie se veut gage de liberté.

De plus, si la théorie est laissée de côté dans la pratique des sciences en Amérique, ce serait à cause de l’incapacité à méditer, car selon Tocqueville, « il n’y a rien de moins propre à la méditation que l’intérieur d’une société démocratique ». Pour quelle raison la société démocratique nuit-elle à la méditation, au sens de réflexion ? À cause des « jouissance matérielles ». En effet, dans une démocratie, on ne voit plus que l’utilité et le profit : « les uns veulent atteindre le pouvoir, les autres s’emparer de la richesse ». Aurait-on perdu le goût de la connaissance ? Si ce n’est pas le cas, il parait tout de même amoindri lorsque « dans les siècles où tout le monde agit, on est généralement porté à attacher un prix excessif aux élans rapides et aux conceptions superficielles de l’intelligence ». En effet, l’homme à force de courir après le profit ne prend plus le temps d’approfondir et de perfectionner les idées, se bornant à la surface des choses. Ainsi, cette société égalitaire entraîne l’individualisme où chaque individu privilégie sa propre pensée à celle d’autrui et ne l’utilise que pour lui même et dans son propre intérêt.

D’un autre côté, la majorité des hommes ont « un goût égoïste, mercantile et industriel pour les découvertes de l’esprit ». En effet, il semblerait que le « pur désir de connaître », comme le disait Rousseau dans ses Rêveries du promeneur solitaire, ait presque totalement disparu, remplacé par le « désir de la gloire ». Pourtant, « c’est cet amour ardent, orgueilleux et désintéressé du vrai, qui conduit les hommes jusqu’aux sources abstraites de la vérité ». Mais dans la société démocratique, le domaine de l’abstraction occupe peu de place face au matériel et l’homme accorde plus d’importance au palpable et au concret qu’au profondeurs de la connaissance. On peut donc se poser la question suivante : est-ce pour toujours ou bien « ces passions » se développeront-elles ? Tocqueville en doute : « j’avoue que j’ai peine à le croire » (page 66).

Pourquoi la visée aristocratique favorise elle quant à elle la théorie ? Car contrairement à celle des « nations démocratique », elle s’éloigne de l’idée de nécessité. En effet, bien que la recherche de la vérité et de la connaissance ne devrait pas être un besoin, « la plupart des hommes qui composent ces nations sont fort avides de jouissances matérielles ». Le goût de ces « jouissances matérielles » entraîne donc un désir égoïste des hommes qui en veulent toujours plus et sont incapables de se contenter de ce qu’ils ont. D’où vient cette insatisfaction ? Elle viendrait de la liberté elle-même : « comme ils sont toujours mécontents de la position qu’ils occupent, et toujours libres de la quitter, ils ne songent qu’aux moyens de changer leur fortune ou de l’accroître » (page 67). Ainsi, les sciences deviennent uniquement un moyen d’accéder à la richesse et de diminuer les efforts avec : « toute méthode nouvelle qui mène par un chemin plus court à la richesse, toute machine qui abrège le travail, tout instrument qui diminue les frais de la production, toute découverte qui facilite les plaisirs et les augmentent, semble le plus magnifique effort de l’intelligence humaine » (page 67). La démocratie éloignerait donc l’homme des bases élevées des sciences, le rendant feignant et matérialiste. Quelle conséquence cela a-t-il sur les sciences ? Elles ne sont plus qu’industrielles, on réduit les « jouissances de l’esprit » en faveur de celles du « corps » car seul ce qui est « utile » et profitable est source d’intérêt. L’intelligence est « limitée », supplantée par les désirs individuels et égoïstes de chaque individu. Nous pouvons alors remarquer que les mots « utilité » et « nécessité » son prépondérants tout au long de cette analyse car ils constituent selon Tocqueville la base de la pratique des sciences dans les sociétés démocratiques : la modernisation, la production de masse sont alors prioritaires pour l’homme, aveuglé par l’enrichissement, le désir d’une plus grande satisfaction matérielle et la recherche du confort individuel.

Afin de renforcer son analyse, voire son argumentation, l’auteur fait ici plusieurs distinctions. D’abord entre la « démocratie » et la « révolution démocratique » car une révolution « ne saurait manquer de donner une impulsion nouvelle aux idées » ; ensuite entre le passé « aristocratique » qui facilite « l’élan naturel de l’esprit vers les plus hautes régions de la pensée » et le présent « démocratique ». Il donne également des exemples tels que celui de Pascal ou d’Archimède qui pratiquaient des sciences pour « l’amour sublime et presque divin de la vérité ».

L’auteur clôt son analyse et ce chapitre en se détachant de l’exemple américain pour s’attarder sur celui de la Chine qui montrerait l’ « immobilité singulière » dans laquelle se trouve l’esprit des peuples enfermés dans « une sorte de bien être matériel ». On remarque donc ici que par son manque d’intérêt pour la connaissance, l’homme renonce au progrès et à l’amélioration. La dernière phrase « s’il y a des peuples qui se laissent arracher des mains la lumière, il y en a d’autres qui l’étouffent eux-mêmes de leurs pieds » montre bien que ce sont les individus eux-mêmes qui sont responsables de leur stagnation.

Pour conclure, l’auteur utilise ici l’exemple de la pratique des sciences afin de soulever les points faibles du libéralisme et les risques de la démocratie. En favorisant l’égalité et l’accroissement du bien être matériel, la société démocratique brise les liens de dépendance entre les hommes et entretient l’espérance chez l’individu que son bien être matériel peut encore s’accroître sans qu’il ait à compter sur autrui. Les différents citoyens n’ont donc plus besoin les uns des autres et s’éloignent des intérêts sociaux. L’esprit individualiste ne finirait-il pas alors par corrompre l’esprit des hommes ?