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A propos de l'auteur

  • Oriane Careme

    Étudiante en 3ème année de licence de Lettres modernes à l’université de La Rochelle.

Accueil || Licence de Lettres || Tocqueville || Pourquoi les américains s’attachent plutôt à la pratique des sciences qu’à la théorie.

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  • (|ptobr)

Tome II (première partie) Chapitre 10.
Pages 62-71 de l’édition Folio.

Dans ce chapitre Tocqueville s’intéresse à la pratique des sciences en Amérique et il explique comment celle-ci a évolué avec les institutions démocratiques. Ainsi, si la démocratie n’empêche pas de faire travailler notre esprit à notre guise, elle le tend tout de même à une certaine limite . Mais alors comment un esprit libre peut-il se limiter lui même ?

La démocratie prône l’égalité, c’est-à-dire une société où chaque individu est à la hauteur de l’autre, sans une quelconque supériorité. L’exemple de la science montre qu’il n’y aurait alors pas d’homme capable, par sa capacité intellectuelle, de donner une formule, un modèle à suivre pour les générations futures.
C’est avec cette idée que les hommes évoluent et se forgent une opinion en pensant que seules leurs idées seront les bonnes et que toute pensée étrangère à la leur sera incorrecte. Ils se mettent à tout vouloir juger eux-mêmes sans suivre les «  traditions ». Ce mode de pensée donne à l’individu une vision concrète de ce qu’il cherche à déterminer et lui fait «  oublier » ce qui a déjà pu être dit. On ne cherche alors plus à s’appuyer sur des anciennes théories pour enrichir et pousser plus loin une réflexion déjà amorcée, mais à la détruire en cherchant « le coté faible de sa doctrine » dans le but de faire mieux. Ainsi, cette société égalitaire devient une société individualiste où chacun pense avant tout par lui même et pour lui même. En cela l’homme chercherait un moyen de se démarquer de la société comme si le besoin de se distinguer des autres par sa supériorité était nécessaire .

Selon Tocqueville la pratique des sciences peut se diviser en trois étapes distinctes mais pourtant interdépendantes : la théorie, les «  vérités générales  » qui amènent à la pratique et enfin l’application. Néanmoins, seule la partie pratique aurait une importance pour l’esprit «  net, libre, original et fécond » des américains, qui ne s’intéresseraient qu’à la finalité et non à la pensée. L’emploi du terme “ fécond ” résume à lui seul ce cheminement de la pensée dans la société démocratique . En effet, après avoir fait un parallèle avec les sociétés aristocratiques qui semblent selon lui se complaire dans l’aisance ou l’impossibilité d’être mieux, Tocqueville nous montre que la société démocratique est au contraire «  un tumulte universel ». La démocratie est certes, synonyme de liberté et d’égalité mais elle est aussi synonyme de progression et de développement. Le désir de jugement individuel relevé précédemment se transforme alors peu à peu en un besoin de productivité continuelle forçant l’esprit humain à être sans cesse « fécond » et « net ».

Tocqueville montre à ses contemporains que l’on retrouve cette fécondité dans les révolutions qui ponctuent les démocraties et qui « font naître d’immenses ambitions dans le cœur de chaque citoyen  » . En effet, la révolution symbolise le désir de changement d’un peuple et par conséquent sa motivation à s’ouvrir à de nouvelles idées. Mais l’homme dans cette institution toujours en mouvement se doit d’agir sans cesse et de ce fait néglige la théorie en entrant dans un “ à peu près” de la pensée. D’ailleurs comme le dit l’auteur«  ce n’est pas par de longues et savantes démonstrations que se mènent, le monde  » !

Pour montrer que la réflexion est importante et qu’il ne faut pas négliger la théorie, Tocqueville utilise des exemples probants comme celui de Pascal qui n’aurait pas , selon lui, apporté autant à la connaissance humaine s’il avait dirigé ses réflexions vers un cheminement purement utilitaire. Il fait également référence à Archimède qui, dans la société aristocratique où il se trouvait, n’a laissé aucune trace écrite de ses réflexions et n’a consacré sa plume qu’à écrire des choses « dont la beauté et la subtilité ne fût aucunement mêlée avec nécessité ».

On remarque que tout au long de cette analyse les mots “utilité ”et “nécessité” sont redondants. En effet, ils constituent le principe même de la science aujourd’hui.
Ainsi, le modernisme s’installe en démocratie : le développement est rapide et la production semble, selon l’auteur, la priorité dans l’esprit humain. Elle donne à l’esprit un instinct artificiel, créé de toutes pièces par la société. En effet, pour Tocqueville, la nature de l’homme serait de s’appliquer à rechercher de façon personnelle des vérités existentielles, mais la naissance des civilisations a fait que l’homme tend maintenant à l’utilité. Ce serait donc à l’État de rééquilibrer la balance en soutenant la pensée théorique plutôt que la pratique. Mais ici on peut se demander si la démocratie est réellement libre et fiable puisqu’elle contraint les hommes à adopter un mode de conduite et de pensée malgré eux ?

Tocqueville finit son observation en se détachant de l’exemple américain pour en venir au modèle chinois. « A force de se renfermer dans l’application on perdrait de vue les principes ». Voilà ce qui s’est passé pour la Chine lors de son développement. Cette«  nation industrielle » n’a cherché que la jouissance matérielle, le désir de produire en abondance. Mais ce faisant, les hommes qui s’étaient contenté de suivre l’exemple (à l’inverse des américains) de leurs pères et de leurs maîtres, se sont enfermé dans un système de production dénué de réflexions, amenant à l’impossibilité de créer de nouvelles choses puisqu’ils en avaient perdu les principes.

Ainsi Tocqueville, à travers l’exemple de la science, relève quelque peu la faiblesse du libéralisme. Tout d’abord à cause de son coté égalitaire qui a engendré la compétition dans le cœur des hommes, mais aussi par un mode de vie fondé uniquement sur le profit et la recherche du « bien-être matériel » au détriment de la pensée. Mais peut-on s’épanouir dans une société où le temps de penser n’est plus permis ?