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A propos de l'auteur

  • Nathalie Grossin

    Étudiante en 2ème année de licence de Lettres modernes à l’université de La Rochelle.

Accueil || Licence de Lettres || Tocqueville || Pourquoi on trouve aux États-Unis tant d’ambitieux et si peu de grandes ambitions ?

Dans ce chapitre, Tocqueville expose et tente d’expliquer le paradoxe concernant « la multitude innombrable » d’ambitieux aux États-Unis et la rareté et la limitation surprenante des grandes ambitions.

L’auteur insiste sur le fait que l’ambition est un sentiment universel, présent dans le cœur de tous les Américains, et que cela provient du renversement de l’aristocratie et de l’établissement de la démocratie aux États-Unis. En effet, selon l’auteur, chacun se voit soudainement offrir la possibilité de s’élever, de sortir de sa condition originaire, d’acquérir des biens, de participer aux pouvoirs, autant de privilèges autrefois réservés à l’élite aristocratique.

Compte rendu du Chapitre XIX - De la Démocratie en Amérique, tome II, troisième partie « Influence de la démocratie sur les mœurs proprement dites », Alexis de Tocqueville, p 334 à 341

Or, l’égalité des conditions, corollaire de la démocratie, conduit d’ordinaire à l’émergence d’ambitions sans limite ce qui n’est pas le cas en Amérique. Tocqueville justifie cela par plusieurs raisons.
Tout d’abord, il explique que le renversement de l’aristocratie laisse place à un premier mouvement d’euphorie, de confusion, d’instabilité et d’espoir dû aux événements récents, d’où les ambitions élevées de chacun. Mais la satisfaction de ces vastes désirs devient de plus en plus difficile au fur et à mesure de l’égalisation des conditions. S’ensuit une période d’accalmie avec l’établissement de règles et un ancrage de l’égalité des conditions dans les mœurs et les institutions. Cette égalité rend impossible la subsistance des grandes ambitions des Américains du fait de l’impossibilité de les satisfaire toutes et l’inconcevabilité d’en satisfaire certaines au détriment des autres. Les désirs se proportionnent alors aux moyens et aux idées démocratiques d’où une diminution des ambitions dans une société démocratique. On assiste à un renfermement des désirs dans des limites étroites ce qui conduit les citoyens américains à convoiter des choses à leur portée. L’ambition est donc universelle mais limitée aux États-Unis et cette rareté des grandes ambitions tient à la nature démocratique même de la société.
De plus, les Américains sont détournés de leurs désirs élevés par des obstacles naturels à la réalisation de ceux-ci. Effectivement, le nivellement de leurs ambitions est conditionné par les efforts immenses à fournir pour les atteindre, par la durée trop importante pour accomplir de grandes choses et ce encore du fait du caractère démocratique. Si l’égalité offre à tous la possibilité d’atteindre leur désir, tous sont soumis indistinctement aux mêmes épreuves pour y parvenir ce qui entraîne un ralentissement du progrès, un découragement et une perte du goût pour les choses extraordinaires. C’est la multitude des barrières entre les individus et leurs désirs qui rabaisse leurs ambitions et crée chez eux une accoutumance à la prudence et à la retenue qui les conduit à chercher des jouissances à leur portée, plus faciles à atteindre. Ces instincts sont conservés ensuite par les générations suivantes devant la difficulté de s’y soustraire. « La loi ne borne [donc] point [les] horizons [des américains] mais ils le resserrent eux-mêmes. » .

D’autre part, Tocqueville met en évidence un danger inhérent au peuple démocratique, inexistant en temps d’aristocratie, qui est la violence des grandes ambitions politiques si elles venaient à s’emparer du pouvoir. En effet, les hommes étant tous égaux, ils sont faibles et si un ambitieux s’érigeait à la tête de la société, la résistance serait alors difficile. Or, l’égalité des conditions rendant difficile voire impossible l’enrichissement et le gain du pouvoir au détriment d’autrui, cela peut conduire certaines personnes à user de vices pour parvenir à leurs fins et conserver leur supériorité.
Selon l’auteur, les États-Unis sont donc habités par « une multitude de petites ambitions fort sensées, du milieu desquelles s’élancent de loin en loin quelques désirs mal réglés. » .
Tocqueville estime donc qu’il est certes nécessaire de freiner l’ambition en instaurant des limites infranchissables, mais tout en permettant un essor considérable dans les limites autorisées, car le fait d’appauvrir et de comprimer les désirs ne fait que donner naissance à des ambitions secrètes immodérées ce qui représente une réelle menace pour la sérénité de l’Union.

Enfin, l’auteur souligne la prédominance de la passion pour les jouissances matérielles et du goût pour le présent chez les Américains, sentiments qui déteignent sur l’ambition. Les citoyens ne se préoccupent que du présent et non de l’avenir ce qui fait qu’ils veulent les choses rapidement et les grandes ambitions nécessitant beaucoup de temps pour être éventuellement satisfaites, ils visent donc des plaisirs petits et vulgaires. Tocqueville considère que le niveau bas des ambitions plonge les mœurs dans la médiocrité ce qui risque de nuire à la réalisation de grandes choses, de conduire à une stagnation des ambitions et de la société et ainsi à une basse estime et au mépris des citoyens pour eux-mêmes.