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A propos de l'auteur

  • Valérie PEREZ

    Fondatrice de ce site et auteur de la majorité des articles mis en ligne.
    Professeur agrégée et docteur en philosophie.

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Séries télé : l’exception française

LE MONDE CULTURE ET IDEES | 06.01.2012 à 22h31 • Mis à jour le 23.01.2012 à 15h59

http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2012/01/06/pourquoi-les-series-tele-francaises-ne-marchent-elles-pas-en-france_1626339_3236.html

Par Macha Séry

L’expression "cinéma américain" est un pléonasme, a déclaré jadis Jean-Luc Godard. En France, la formule pourrait s’appliquer aux séries télévisées, tant les feuilletons originaires des Etats-Unis sont plébiscités. Demandez à n’importe qui - parent, ami, voisin, collègue - quelle est sa série préférée. Seront citées "Lost", "Breaking Bad", "Les Experts", "How I Met Your Mother"... Godard lui-même a confié être fan de "Dr House". Il n’est pas le seul : chaque épisode de cette série est suivi en moyenne par 82 millions de téléspectateurs dans le monde. "Le modèle américain domine, c’est indéniable", confirme Fabrice de la Patellière, directeur de la fiction à Canal+. C’est un fait depuis "Alerte à Malibu", créée en 1989, qui fut diffusée dans plus de 140 pays et a compté jusqu’à 1,1 milliard de fidèles. "The Mentalist" (TF1) est en tête du classement des quinze séries les plus regardées en France, parmi lesquelles sept sont américaines.

Pourquoi cette hégémonie ? "Pour qu’un pays concurrence les Etats-Unis, il faudrait qu’une série emblématique fasse événement sur une grande chaîne, observe Frédéric Lavigne, directeur artistique du festival Séries Mania au Forum des images, à Paris. L’équivalent d’un Pedro Almodovar ou d’un Ingmar Bergman révélé au Festival de Cannes." Or, c’est surtout aux Etats-Unis que les diffuseurs français cherchent leur bonheur, assurés d’y trouver des séries divertissantes ou efficaces, portées à l’occasion par des acteurs de renom et des producteurs de prestige. Outre-Atlantique, une cinquantaine de nouveautés sont développées chaque année, choisies parmi quelque 250 projets dont l’épisode pilote a été soumis à des panels de téléspectateurs. Peu d’élus et, au final, guère de rescapés : la moitié des séries mises à l’antenne s’arrêtent après une première saison, voire avant. Série, ton univers impitoyable...

Le fait est que les Américains savent satisfaire le goût des téléspectateurs. "Castle", "The Mentalist", "Dr House", "Les Experts" offrent un modèle narratif rassurant car répétitif, guère de scènes en extérieur, un ancrage social quasi inexistant, peu de référence à l’actualité ni à la politique : des produits judicieusement formatés. "Leur modèle, très compétitif, est, dans l’écriture même, axé sur l’exportation puisque le financement des grandes séries provient parfois surtout de l’international", explique Fabrice Bailly, directeur adjoint des programmes de TF1. Les 27 pays de l’Union européenne rapportent en effet 6 milliards de dollars par an en vente de droits de diffusion de séries américaines.

En outre, ne voyant que les meilleures productions, les téléspectateurs français sont victimes d’une illusion d’optique. Frédéric Lavigne, qui regarde toutes les nouveautés américaines, estime que "90 % d’entre elles sont à jeter. Ce qui n’est pas le cas sur les chaînes du câble ou à péage comme HBO, Showtime ou AMC", lesquelles mettent à l’antenne des séries signées par des créateurs en rupture avec le flux télévisuel (Alan Ball, Vince Gilligan, David Simon...), qui parfois ont dû batailler pour imposer leur univers.

"Ces séries sont devenues la référence esthétique, observe Fabrice de la Patellière. Le public juge le reste de la production mondiale à l’aune du modèle américain. C’est comme la peinture à l’époque de la Renaissance : on ne pouvait ignorer les maîtres italiens. Aujourd’hui, on ne peut ignorer les maîtres américains. C’est dur - imaginez qu’au cinéma, on reproche à Christophe Honoré de ne pas faire du James Gray -, mais c’est comme ça : il y a une richesse, souvent une profondeur, toujours une efficacité dans l’écriture des séries américaines que le public veut retrouver dans les séries françaises." Une attente souvent déçue.

Ce n’est pas forcément le cas ailleurs. Car l’hégémonie des séries américaines est une drôle d’exception culturelle française. Dans la plupart des autres pays européens, les séries locales sont en tête des audiences. Certaines productions, d’une grande qualité, inspirent même les maîtres américains : ""The Killing" et "In Treatment" sont des remakes, l’une d’une série danoise, l’autre d’une série israélienne", note Frédéric Lavigne. La liste pourrait s’allonger avec "Ugly Betty", à l’origine une telenovela colombienne, "Shameless", "Skins" et "Being Human", adaptées de séries britanniques.

La relative faiblesse de la création télévisuelle française pourrait avoir une explication paradoxale. "En Allemagne et en Angleterre, les jeunes talents du cinéma ont d’abord éclos à la télé, cependant que le cinéma français aimantait puissamment les créateurs, observe François-Pier Pélinard-Lambert, rédacteur en chef adjoint du Film français. Faute d’être stimulée par la concurrence, qui n’est survenue qu’avec la TNT, la télévision ronronnait." Et d’ajouter : "Seule la création française a été en crise. La Corée, le Japon, l’Amérique latine sont depuis longtemps autosuffisants en termes de fictions, et les séries américaines sont, dans ces pays-là, cantonnées aux chaînes payantes pour un public limité de cadres supérieurs."

Idem en Grande-Bretagne, où règne une saine émulation créatrice. "Le public britannique attend de ses grandes chaînes, publiques ou privées, un reflet de sa propre culture, expliquait au "Monde TéléVisions" en avril 2011 Kate Harwood, responsable des séries à la BBC. Celle des Etats-Unis n’est pas la sienne, si bien que même d’excellentes séries comme "Mad Men" ou "The Wire" ne sont proposées que tard, ou sur les chaînes numériques pour un public bien plus réduit." Réalisme social, fresques historiques, les séries britanniques connaissent un succès grandissant. "Downton Abbey" a ainsi raflé en 2011 six Emmy Award et obtenu le score sans précédent de 92 sur 100 sur Metacritic, barème établi par les appréciations cumulées des journalistes. Ce feuilleton, dont la troisième saison vient d’être mise en chantier, a déjà été acheté par plus de 100 pays.

L’excellence britannique, à laquelle contribuent réalisateurs et acteurs travaillant indistinctement pour la télévision et le cinéma, date d’un demi-siècle ("Le Saint", "Chapeau melon et bottes de cuir"). D’autres pays affichent depuis une belle vitalité créatrice : les Coréens exportent leurs polars très découpés et leurs feuilletons sentimentaux. Les Danois ont raflé le FIPA d’or 2011 de la meilleure fiction pour "Borgen", tandis que le prix de la meilleure série aux Bafta était décerné à "The Killing", vendue en Pologne, en Russie, en Australie, en Espagne, en France (Arte)... Pas mal, pour un petit pays de 5 millions et demi d’habitants.

Et ailleurs ? "Favorisé par un star-system local et des obligations de productions soutenues par les autorités, le Québec, territoire de 8 millions d’habitants, réussit à mixer une culture européenne et nord-américaine ", rapporte François-Pier Pélinard-Lambert. En Australie, quand la grève des scénaristes hollywoodiens, en 2009, a asséché temporairement le marché, les chaînes privées ont lancé des séries locales. L’épisode a coïncidé avec l’arrivée au pouvoir du Parti travailliste, désireux de soutenir la production. "L’Australie, qui porte un regard assez libre sur la sexualité et la violence, a trouvé un juste milieu entre les influences anglaise et américaine", note François-Pier Pélinard-Lambert. La preuve avec "Underbelly", feuilleton mafieux de très bonne facture. Dans "Arab Labor", les Israéliens, qui, eux non plus, n’ont érigé aucune frontière entre petit et grand écran, ont traité avec humour des tensions interreligieuses.

Les chaînes privées espagnoles se sont spécialisées dans les séries historiques et fantastiques. Quant à l’Amérique latine, elle ne produit pas seulement des telenovelas. En témoignent "Capadocia" ou "Epitafios", première série, en 2004, à avoir été écrite et tournée pour HBO Latina. Audace thématique, complexité de l’intrigue, suspense, caractérisation psychologique des personnages, cliffhanger, ambivalence des situations, maîtrise du format sériel, réalisation soignée sont au rendez-vous. De fait, "après une décennie glorieuse des séries américaines, une génération arrive à maturité", estime Frédéric Lavigne. La série espagnole "Angel e Demonio" a ainsi digéré l’influence de "Twilight" et de "Vampire Diaries". Et Adam Price, le créateur de "Borgen", ne cache pas s’être inspiré de la série politique "A la Maison Blanche", diffusée sur la chaîne américaine NBC de 1999 à 2006. Laquelle prévoit d’adapter "Borgen" !